Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fonctionnaires sont assurés de trouver auprès de lui bienveillance et justice, et ils n’éprouvent pas le besoin de se défendre contre ses atteintes. Mais nous ne sommes pas ce pays et nous n’avons pas ce gouvernement. C’est pourquoi il est devenu indispensable de donner aux fonctionnaires des moyens de défense contre le gouvernement, au risque d’affaiblir l’action légitime de celui-ci et de n’obvier à un inconvénient qu’en en créant un autre, ou en le développant. A qui la faute, sinon au régime actuel et au débordement de favoritisme dont la responsabilité lui revient ? Le désordre est si grand que l’opinion a donné raison aux postiers lorsqu’ils s’en sont plaints lors de leur première grève : on a été d’accord pour reconnaître qu’il fallait appliquer au mal un remède énergique. Malheureusement ce remède ne peut consister que dans le fait de limiter l’indépendance du gouvernement, de lui lier plus ou moins les mains, et d’établir dans le pays une caste nouvelle, celle des fonctionnaires, qui seront bardés de droits et profiteront de toutes les occasions pour les brandir, non seulement sur la tête de leurs chefs, mais sur la nôtre à tous, qui mériterons de plus en plus le titre d’assujettis. Les syndicalistes ont essayé de s’emparer des fonctionnaires en leur promettant de supprimer le gouvernement et de les mettre à sa place : nous serions, à proprement parler, gouvernés par eux. Ce régime, imité de la Chine, ne tarderait pas à devenir le plus prétentieux, le plus pédant et le plus insupportable qui ait jamais existé chez nous : le pays ne s’en accommoderait pas longtemps. Mais ces rêves ne sont pas encore réalisés, et il faut bien reconnaître que, si les fonctionnaires peuvent devenir un jour pour nous une menace, ils sont actuellement menacés. Nous plaignons celui d’entre eux qui n’est pas recommandé par un parlementaire de la majorité, ou du moins par le concurrent éventuel d’un parlementaire de la minorité ; il est sûr d’être victime du passe-droit. Et c’est moins encore la faute directe des ministres et des députés que du régime lui-même et des détestables mœurs politiques qu’il a laissées s’établir. Que peuvent faire les ministres contre les députés ? Ils en dépendent. Et que peuvent faire les députés contre les électeurs ? Ils en dépendent aussi. Or les électeurs influens aspirent presque tous à entrer dans les fonctions publiques, et s’ils n’y aspirent pas pour eux-mêmes, ils le font pour leurs parens ou pour leurs cliens. La plupart des députés actuels n’auraient pas été élus s’ils n’avaient pas été les distributeurs des largesses officielles, et ils ne seraient pas réélus s’ils cessaient de l’être. C’est ce qui nous inspire des inquiétudes sur le sort de la réforme. Si elle est jamais votée et vraiment