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mouvement qu’il avait voulu déchaîner s’est arrêté au bout de quelques jours, sans profit pour les ouvriers et sans honneur pour leurs chefs.

Ce sont les postiers qui ont commencé, en quoi ils ont été bien mal inspirés. Ils avaient, en somme, obtenu gain de cause au mois de mars dernier ; le gouvernement, pris au dépourvu, avait reculé devant eux sans bravoure. Quand on a obtenu par aventure un pareil succès, la sagesse est de s’en contenter, au moins pendant quelque temps, et de se reposer sur ses lauriers. Comment les postiers ne l’ont-ils pas compris ? Il leur suffisait d’ouvrir les yeux pour voir que le gouvernement, après avoir pris ses mesures, cherchait une revanche : il éprouvait le besoin de se réhabiliter. Les postiers lui en ont maladroitement fourni l’occasion. De plus, au mois de mars, l’opinion entraînée, égarée par une appréciation des choses d’ailleurs très superficielle, était en partie favorable aux postiers ; elle ne l’était plus en mai. Elle avait fait ses réflexions ; la question Simyan la laissait indifférente ; elle commençait à distinguer les élémens révolutionnaires qui fermentaient dans la grève ; en un mot, elle en avait assez. Et la grande majorité des postiers en avait assez, elle aussi. Pour ces pauvres gens, dont la plupart sont mariés et pères de famille, la grève, même lorsqu’elle réussit, est une épreuve qui, sur le moment, est pénible, parfois même douloureuse. On se trompe beaucoup si on se fie aux manifestations extérieures des grévistes. Tout le monde a lu les comptes rendus des meetings, où dix mille assistans votent comme un seul homme les ordres du jour qui leur sont présentés, c’est-à-dire imposés. Aucun des assistans n’est sûr de son voisin et ne sait ce qui lui arriverait s’il ne votait pas avec la majorité ; aussi les mains se lèvent-elles comme, au commandement militaire, les baïonnettes apparaissent et scintillent au bout des canons de fusil ; et on se sépare en chantant l’Internationale. Mais, pour connaître sa pensée et son sentiment vrais, il faudrait suivre le manifestant chez lui, et entendre la conversation que, porte close, il tient à sa femme et à ses enfans. Ici encore, il y a ce qu’on voit, qui est trompeur, et ce qu’on ne voit pas, qui dissiperait bien des illusions. Les fauteurs de la grève, aveuglés par leur premier succès, n’ont pas tenu compte de la lassitude de leurs troupes. Blessés dans leur vanité par le peu d’empressement de la Chambre à leur donner satisfaction, ils ont brusquement ordonné la suspension du travail. Le travail n’a été nulle part sérieusement interrompu ; il a été mal fait pendant quelques jours, mais il a continué, et le gouvernement a profité des circonstances pour mettre successivement à pied un certain nombre de