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travaillait sans plus s’occuper de son client que si ç’eût été un calorifère. Quand il voulait comparer l’original et le portrait, il se reculait de nouveau au fond de la pièce, afin de ne voir, des deux, que l’effet d’ensemble. Puis, il revenait et peignait, de nouveau, selon la synthèse du souvenir. Jamais il ne s’inquiétait du détail. Ces Anglais, dont le masque apparaît toujours comme celui d’une froideur calculée, sont, en réalité, les artistes les plus impétueux et qui comptent le plus sur la chance. Reynolds l’avoue dans ses discours : « Rembrandt, dit-il, afin de tirer parti du hasard, semble avoir souvent employé le couteau à palette pour poser ses couleurs sur la toile, au lieu de la brosse. Que ce soit le couteau à palette ou tout autre engin, il suffit que ce soit quelque chose qui n’obéisse pas absolument à la volonté. Le hasard, entre les mains d’un artiste qui sait tirer parti de ce que le hasard lui suggère, produira souvent des beautés capricieuses et hardies de facture et de liberté, auxquelles on n’aurait pas pensé et où l’on ne se serait pas aventuré avec la brosse, sous le contrôle régulier de la main. »

Ce dernier trait est, peut-être, celui qui sépare le plus nettement les deux écoles comme étant celui qui distingue le mieux les deux « matières, » s’il est vrai que les différences de matière soient, en art pictural, les seules qui ne puissent être réduites par quelque théorie. Or quand nous nous retournons vers les gracieuses et minces matières de notre XVIIIe siècle français, quand nous considérons ces étoffes cassées et plissées comme du carton verni, ces chairs soufflées et fardées, ces sèches guirlandes et ces bouquets de porcelaine, ces atours de figurines de Saxe, nous éprouvons combien la « matière » anglaise était, alors, supérieure à la nôtre. Et encore voyons-nous ces choses patinées par le temps. Que serait cette facture minutieuse, étroite, appliquée des portraits français, si nous les voyions tels que les vit Diderot à leur sortie de l’atelier ? Que seraient les bleus intransigeans, les jaunes canari, les roses rougissans de Boucher ou de Nattier s’ils avaient encore toute leur vertu ? Nous n’osons pas l’imaginer… Et que penserions-nous de ces belles aïeules, si douces, si avenantes et si calmes, en pénétrant le secret de leurs grandeurs et de leurs rivalités ? Nous n’osons pas le dire. Nous préférons les voir à travers le voile tissé par les légendes. Notre piété réconcilie et fond harmonieusement les nuances de leur vie comme le temps celles de leurs figures : c’est la patine