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de Boucher, de Largillière ou de Nattier, et l’on sentira le contraste.

Un autre contraste moins frappant, mais tout aussi marqué, est celui des rouges anglais et des rouges français. Les rouges, dans les portraits français, sont nombreux, répandus sur les joues à titre de fards, appliqués à beaucoup d’accessoires et pourtant froids et mats. Les rouges anglais, plus rares mais savoureux et humides, éclatent comme une grenade brusquement ouverte ou perlent comme une goutte de sang. Ceci tient autant à la facture qu’au choix des matières employées. Toutefois, les matières ne sont pas les mêmes. Les rouges français sont surtout obtenus avec du vermillon, les rouges anglais, surtout avec du carmin et de la laque. « Une fois, je tentai humblement, dit Northcote, de persuader à sir Joshua d’abandonner ces couleurs fugaces, la laque et le carmin, dont il usait pour peindre les chairs et d’adopter, à leur place, le vermillon, infiniment plus solide, quoique peut-être pas tout à fait aussi juste que les autres. Je me rappelle qu’il regarda sa main et dit : « Je ne vois pas de vermillon là dedans… »

Enfin, et c’est, là, le dernier trait qui sépare les deux écoles, la facture anglaise libre, large, hasardeuse, emportée, est en avance d’un siècle sur la facture des Drouais ou des Boucher. Bien qu’atténué par la patine du temps, le contraste est encore frappant ici. Rien, dans la salle française, n’est comparable à la vieille femme de Raeburn, Mme James Campbell (n° 33) ni aux têtes de lady Sligo, de lady Hamilton ou de la princesse Amélie, par Romney. Même la peinture de Perronneau, fort moderne, si l’on considère son jeu de couleurs, est petite et sèche, si l’on considère sa facture. Seuls, les portraits de Danloux, la Dugazon de Mme Vigée-Lebrun et la Comtesse de Verrue, d’un inconnu, sont d’une facture large et il se trouve, justement, que Danloux et Mme Vigée-Lebrun sont les peintres de l’émigration. Pas un Français d’alors n’a l’idée de chercher le grand trait, l’expression subite, la tache colorée d’un visage, — ce que cherchait Raeburn, par exemple. Quand Raeburn faisait un portrait, dit quelqu’un qui a posé pour lui, il pinçait son chevalet à côté de son modèle, lequel était juché assez haut sur une estrade, mais il reculait jusqu’au bout de la pièce pour le regarder. Il le considérait plusieurs minutes avec une extrême attention, se pénétrait bien de l’impression d’ensemble, puis il revenait vers sa toile et y