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d’exiger des garanties de la Prusse pour la fidèle exécution du traité de Prague ; aurons-nous la force d’arrêter ce mouvement ? Déjà on nous trouve trop accommodans, et le parti de la guerre se met en mesure de nous ôter la direction des affaires. Comme l’a dit le duc, le roi Guillaume rendrait à nos deux pays et au monde entier un service incomparable si, par la spontanéité d’une démarche amicale, il rétablissait la cordialité des rapports qu’il a lui-même troublés. En fortifiant notre position ministérielle il nous donnerait le moyen de poursuivre notre œuvre pacifique. »

Ainsi, pas plus après mon arrivée qu’avant, il ne s’agit d’une demande quelconque de nature à changer Je caractère de la négociation. Comment me le serais-je permis ? Comment n’aurais-je pas arrêté Gramont, s’il l’avait fait, puisque je venais de convenir avec l’Empereur, quelques instans auparavant, que nous ajournerions toute décision jusqu’au lendemain neuf heures en Conseil ? Il y a des impossibilités logiques et morales qui sont des preuves. J’ai, il est vrai, appuyé la suggestion de Gramont, mais cette suggestion même, n’ayant été approuvée ni par l’Empereur ni par le Conseil, restait toute personnelle et n’avait aucune espèce de valeur officielle. Il est évident que, si nous avions réclamé une lettre d’excuses du Roi, par Werther, nous aurions aussitôt renouvelé notre requête par Benedetti, et celui-ci fût devenu le porte-voix naturel de cette nouvelle exigence comme il l’était déjà de nos autres réclamations. Gramont ne communiqua pas cette suggestion même à titre de renseignement ; et il n’y eût certes pas manqué, versé comme il l’était dans les procédés diplomatiques, si elle avait eu une réelle importance. Avoir transformé une pensée sincère d’apaisement en une machination insolente et provocatrice, avoir fait de la suggestion d’une lettre d’amitié la demande d’une lettre d’excuses, c’est une des plus abominables calomnies de la légende de mensonge avec laquelle je suis aux prises.

Nous quittâmes Werther à quatre heures, Gramont partit pour Saint-Cloud. En nous séparant, il fut entendu, comme il l’avait été déjà avec l’Empereur, que nous ne prendrions de résolution que dans le Conseil du lendemain matin. En rentrant au ministère, je rencontrai, sur le pont, Pessard, le rédacteur du Gaulois aux articles si virulens. Je lui dis que je trouvais sa polémique absurde, et je le priai instamment, maintenant qu’il