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donc ces chairs « effroyablement blanches et roses » que Walpole apercevait dans une visite à l’atelier de Reynolds ? Enfin, si nous voyons, ça et là, chez les Nattier, chez Mme Vigée-Lebrun, Van Loo et Mme Labille-Guiard, tels bleus et tels jaunes qui sont tout près de crier ou qui viennent seulement de se taire, qui donc les a calmés et réduits au ton général où ils chantent harmonieusement aujourd’hui, si ce n’est le temps ? Saluons-le comme le premier des maîtres, car le premier masque qui voile, adoucit et embellit les visages, c’est lui qui, doucement, silencieusement, à l’insu de tout le monde, l’a posé.

Le second, c’est le silence, ce silence anglais fait d’orgueil, de prudence et d’obstination. Que peut-on espérer voir transparaître sur leurs images des passions que ces belles Anglaises surent si bien dissimuler à leurs contemporains ? Il semble, en vérité, quand on se promène entre ces visages peints par Reynolds, par Hoppner, par Gainsborough, qu’on chemine dans l’allée des Sphinx. Il n’est guère de ces belles dames aux grands yeux candides, qui n’aient tenu leurs lèvres fermées sur quelque terrible secret, parfois toute leur vie. Bien entendu, elles se sont toutes mariées ou au moins fiancées secrètement. Ceci est l’entrée de jeu de la ruse et les premières manœuvres de la dissimulation. Cette petite lady Susan Fox Strangways, que Ramsay a peinte (n° 35) tout en bleu, a gardé le sien dix-huit mois durant lesquels son père, lord Ilchester, ne vit rien de la cour assidue que lui faisait l’acteur mondain O’Brien. Et lorsque tout fut découvert, ce petit masque serein sut fort bien concevoir et exécuter un plan de fuite pour l’Amérique, sans que toute une famille éplorée, qui considérait un mariage avec un acteur pire qu’avec un valet, en prévît le dénouement.

Cette petite Mary Gainsborough que nous voyons (n° 7), peinte par son père, en pied, nous faisant face et enlaçant à l’épaule sa sœur aînée Peg, a su dissimuler également à son père ses fiançailles avec une sorte de bohème habile à jouer du hautbois, nommé Fischer, et qui flattait les goûts mélomanes du peintre. « Comme je n’avais pas le moindre soupçon, écrivait Gainsborough à un ami, du lien depuis si longtemps et si profondément formé, et comme il était trop tard pour moi pour changer quelque chose sans causer un complet désespoir des deux côtés, mon consentement, qui ne m’était demandé que par pure affectation de bienséance, fut nécessairement accordé, que ce