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mauvaise foi borusque, rappela les précédens belges, grecs, etc., dit avec vivacité que dans les Hohenzollern l’Empereur ne voyait pas des alliés plus ou moins éloignés, pour lesquels il avait eu des bontés, mais des princes, des sujets, des officiers prussiens dont on s’était servi pour inquiéter et humilier son pays, et que rappeler cette alliance, c’était le blesser. « Vous dites que le Roi n’a jamais eu l’intention d’être désagréable et de porter ombrage à la France ; je n’en doute pas, puisque vous l’affirmez ; mais pourquoi le Roi ne nous le dirait-il pas lui-même ? Pourquoi, dans une lettre amicale à l’Empereur, en s’associant à la renonciation du prince, ne dirait-il pas qu’on a mal interprété l’origine et exagéré les conséquences de cette candidature, qu’il attache trop de prix à l’amitié entre nos deux pays pour ne pas désirer qu’avec son abandon disparaisse toute mésintelligence et tout sujet d’ombrages ? » Et il formula ses idées dans une note dont les termes, peu médités, n’étaient qu’une esquisse ad memoriam : « En autorisant le prince Léopold à accepter la couronne d’Espagne, le Roi ne croyait pas porter atteinte aux intérêts ni à la dignité de la nation française. Sa Majesté s’associe à la renonciation du prince et exprime son désir que toute cause de mésintelligence disparaisse désormais entre son gouvernement et celui de l’Empereur. »

En parlant ainsi, Gramont n’avait pas entendu commettre la grossièreté de réclamer une lettre d’excuses. On ne demande pas une lettre d’excuses à un Roi qui est en même temps gentilhomme, quand on est gentilhomme soi-même et qu’on a le sentiment de l’honneur. Il savait très bien qu’à une telle impertinence le Roi eût répondu en faisant conduire à la frontière l’ambassadeur chargé de la lui présenter et en ordonnant la mobilisation de son armée. La sincérité de ses intentions pacifiques, le respect avec lequel il parla du Roi, tout en exprimant avec force nos propres sentimens, ne permirent pas à Werther de croire un instant que cette suggestion fût blessante. Werther aurait coupé l’entretien s’il avait eu devant lui un homme préoccupé d’humilier son souverain, car, tout en se montrant animé des dispositions les plus conciliantes, il ne cessa de maintenir le point de vue de son gouvernement avec une invincible fierté. Gramont ne formula donc aucune demande : il suggéra un expédient à l’appréciation de l’ambassadeur, et cet expédient n’avait rien de nouveau ni d’insolite. L’Empereur lui-même avait donné l’exemple