C’est à moi que ce soir vous livrez le secret
De votre grâce turbulente,
Les autres ne verront que l’essor calme et frais
De votre croissance si lente.
Les autres ne verront, — Alsace aux molles eaux
Qu’un zéphyr moite endort et creuse, —
Que vos étangs gisans, qui frappent de roseaux
Votre dignité langoureuse !
Les autres ne verront que vos remparts brisés,
Que vos portes toujours ouvertes,
Où passe sans répit, sous un masque apaisé,
Le tumulte des brises vertes !
Les autres ne verront, ô ma belle cité,
Que la grave et sombre paupière
De tes toits inclinés, qui font à ta fierté
Un voile d’ombre et de prière.
Ils ne verront, ceux-là, de ton songe éternel,
Que ta plaine qui rêve et fume,
Que tes châteaux du soir, endormis dans le ciel.
— J’ai vu ton frein couvert d’écume !
Ceux-là ne sauront voir, à ton balcon fameux,
Que la Marseillaise endormie ;
— Moi j’ai vu le soleil mettre une égide en feu
Au cou gonflé de mon amie !
Les autres ne verront que ce grand champ des morts,
Où le Destin s’assied, hésite,
Et contemple le Temps assoupi sur les corps…
— Moi j’ai vu ce qui ressuscite !
L’éther pris de vertige et de fureur tournoie,
Un brûlant diamant de tant d’azur s’extrait ;
Virant, psalmodiant, le vent divise et ploie
La pointe faible des cyprès.