Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de police politique ; sans caractère officiellement avouable et j’étais tenu à n’en pas révéler l’existence. Je le mis donc dans ma poche qu’il brûlait en quelque sorte. J’avais à peine fait encore quelques pas que je fus rejoint par un autre envoyé, celui-là de mon cabinet, Boissy. Il m’apportait un rapport dans lequel on relatait que, dans le local de la réunion de la Gauche irréconciliable, à la Sourdière, Gambetta venait de prononcer un discours superbe : le thème en était qu’il ne fallait considérer l’affaire Hohenzollern que comme un détail et demander résolument l’exécution du traité de Prague et la démolition des forteresses qui menaçaient notre frontière. « S’il prononçait ce discours à la Chambre, me disait-on, le ministère n’y résisterait pas. »

J’arrive au Corps législatif ; on m’interroge : qu’y a-t-il de nouveau ? Je me garde bien de dire ce que je venais d’apprendre. « Rien encore, dis-je, mais Gramont doit conférer avec Werther dans quelques instans et, à la fin de la journée, nous saurons à quoi nous en tenir définitivement. » À ce moment, Olozaga débouche dans la salle des conférences ; le visage animé, agitant un papier, il se précipite vers moi et m’attire dans un coin. « Gramont est-il là ? — Non, il est aux Affaires étrangères en conférence avec Werther. — C’est que j’ai une bonne nouvelle à vous donner. » Et il me lit le télégramme dont j’avais la copie. « La nouvelle est donc sérieuse ? lui dis-je. --- Oui, oui, n’en doutez pas ; tout est terminé. » Et il me quitta pour se rendre auprès de Gramont.

Les députés qui avaient vu l’arrivée d’Olozaga, sa pantomime, le papier tendu, m’entourent dès qu’il m’a quitté : « Il y a quelque chose d’important ? » Une délibération rapide comme la pensée eut lieu alors dans mon esprit. Divulguerai-je la dépêche ou la garderai-je pour moi ? La copie, saisie au passage, d’une transmission par la haute police d’État, était devenue un texte authentique produit devant de nombreux assistans par l’ambassadeur auquel il était adressé. Une communication ainsi faite n’indiquait pas le désir du secret ; le caractère même de la dépêche l’excluait : on n’expédie une dépêche en clair que lorsqu’on veut la rendre publique. Pourquoi aurais-je caché à ces députés, pour faire inutilement l’important, un fait que tout le monde allait connaître par les journaux du soir, que beaucoup connaissaient déjà, au ministère, au télégraphe, dans les ambassades,