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j’aurais armé mes domestiques, et vous eussiez senti les caresses de nos balles.

Traité d’aussi verte manière, le colonel remonta en selle, et regagna la Malmaison. Sa risible déconvenue l’avait mis en méchante humeur :… « Vraiment, il en avait assez ! Hier, Mme Hamelin ; Oudinot, aujourd’hui ! Les exploits de parfait gendarme répugnaient à ses délicatesses : il voulait redevenir cuirassier… » Mais le maître des avancemens, distributeur des récompenses, haussa les épaules, et Savary se consola… Au surplus, Delmas avait disparu[1].

Telle était la mortifiante avanie infligée à l’un de ces vaillans qui, dans les plaines allemandes, avaient porté si haut les couleurs de la France, à celui qu’on avait surnommé le Brave, au soldat de Morlauter et de Neckerau, d’Ingolstadt et d’Ettenheim : Charles-Nicolas Oudinot. Ses actions d’éclat, ses blessures, sa grande situation militaire, l’estime où le tenait l’armée auraient dû imposer le respect, même au Premier Consul. Mais déjà la main brutale de Bonaparte pesait sur toutes les têtes, et toutes les contraignait à se courber. Une gloire acquise en d’autres combats que ses propres batailles semblait importuner sa gloire, et d’incessans complots lui enlevaient toute mansuétude. Il avait peur : lorsque l’audace a peur, elle ne respecte rien. Encore un peu de temps, et Moreau, le Moreau de Hohenlinden, allait s’asseoir sur le banc d’infamie, devant les juges terrifiés de la Cour criminelle !


Reçu au château de Polangis, Année n’y entendit qu’acerbes doléances, plaintes découragées ; Oudinot exhala devant lui une impuissante colère… « Oui, il eût, de grand cœur, assisté Donnadieu ; mais sans crédit, et menacé de destitution, il refusait de se compromettre davantage… » Donc, visite encore inutile ; affaire manquée, trois fois manquée ; la manœuvre policière n’apprenait rien : il fallait trouver autre chose.

On trouva.


VIII. — CONSEILS D’UN SAGE

Au Temple, cependant, le prisonnier perdait patience. Aucune réponse aux lettres suppliantes ne lui avait été transmise ;

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1908. — Mémoires du duc de Rovigo, I.