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forte raison à la conseiller et à la défendre. En cette circonstance suprême, pas plus que dans toute autre, je n’ai obéi à une influence quelconque, directe ou indirecte ; j’ai agi avec la plénitude de ma volonté.

Je me suis immédiatement décidé à écarter le Hohenzollern du trône d’Espagne, dût la guerre s’ensuivre. Dès que le retrait de la candidature eut sauvegardé l’intérêt français, j’ai intrépidement lutté pour la conservation de la paix, et j’aurais réussi sans la publication de la dépêche falsifiée. Dans le plus pacifique de mes discours, j’avais dit : « Nous aussi nous sommes affamés de paix, mais nous voulons la paix dans l’honneur, la paix dans la dignité, la paix dans la force ! Si la paix était dans la faiblesse, dans l’humiliation, dans l’abaissement, je dirais sans hésiter : Mille fois plutôt la guerre. » Après le soufflet de Bismarck, la paix ne pouvait plus être que la paix dans la faiblesse, dans l’humiliation, dans l’abaissement, car « si un soufflet ne fait pas de mal, il tue. » Alors je me suis infligé la plus atroce souffrance qu’un être humain ait connue en mettant mon nom au bas d’une déclaration de guerre, afin que l’honneur de mon pays ne fût pas tué. Ce sacrifice m’a valu un long et effroyable débordement d’outrages et de calomnies et un impitoyable ostracisme. J’ai supporté cette épreuve avec une imperturbable sérénité, parce que je suis sûr de m’être dévoué à mon pays en honnête homme, en bon citoyen, sans aucune arrière-pensée personnelle d’aucun genre. Lorsque Prométhée enchaîné sur son rocher, pour avoir servi les mortels, sent fondre sur lui la terrible tempête déchaînée par Jupiter, il invoque Thémis sa mère et l’Ether, et s’écrie : « Auguste divinité et toi qui fais rouler sur le monde le flambeau de la lumière, vous voyez mes injustes tourmens ! » Moi aussi, quelque peu que je sois, avec une fière humilité, j’ai invoqué la justice et l’auguste divinité qui fait rouler sur le monde le flambeau de la lumière. Autour du misérable enchaîné dans les liens d’un inexorable airain, sont accourues, compatissantes et attendries, les douces Océanides. Autour de moi aussi des êtres bien-aimés, charme, fierté et force de mes jours, ont formé le chœur des douces Océanides ; je les nomme tout bas en les bénissant.


EMILE OLLIVIER.