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Bismarck : il nous en avait tendu un, lorsqu’il essayait de nous fourvoyer dans une lutte avec l’Espagne. Mais ici, il ne nous entend pas, il nous soufflette : un soufflet n’est pas un piège, c’est une brutalité contre laquelle aucune habileté ne vaut, qu’on subit ou qu’on rend.

Tandis que le ministre prussien avait mal commencé et mal fini, les ministres français avaient correctement commencé et correctement fini. Ni au début, ni à la fin, ils n’avaient saisi eux-mêmes la passion publique et porté à la tribune des faits qui devaient susciter une initiative dangereuse. C’était le télégraphe qui avait lancé dans l’Europe l’annonce de la candidature ; c’était l’interpellation conseillée par Thiers lui-même qui avait porté à la Chambre l’émotion publique ; c’était le télégraphe, mis en mouvement par la communication provocatrice de Bismarck, qui avait jeté, dans les rues de toutes les villes d’Europe, la nouvelle du refus du Roi de recevoir notre ambassadeur. Les ministres français avaient subi le choc du torrent ; ils n’avaient point ouvert les écluses,

Depuis le commencement de l’affaire, quoique battus par le flot ému de l’opinion, ils n’avaient cessé d’incliner aux concessions. Ils avaient fait une concession, lorsque, se trouvant tout à coup en présence d’une candidature organisée ténébreusement, ils avaient négocié au lieu de déclarer tout de suite la guerre ; ils avaient fait une concession lorsque, renvoyés ironiquement de Caïphe à Pilate, du ministre au Roi, ils étaient allés au Roi, au lieu d’aller au champ de bataille ; ils avaient fait une concession, lorsque, traînés par le Roi pendant plusieurs jours pour une réponse qui aurait dû être donnée en vingt-quatre heures, ils avaient attendu et patienté ; ils avaient fait une concession lorsque, recevant une renonciation signée par le père et non par le fils, ils avaient, malgré le précédent Augustenbourg, considéré la renonciation comme valable. Ils allaient faire une dernière concession en n’insistant pas sur la garantie pour l’avenir, demandée par l’Empereur sous l’effort du parti de la guerre. Pouvaient-ils encore plier la tête sous l’acte de « bravade provocante » et offensante de la dépêche d’Ems ? De quels précédens se seraient-ils inspirés ? Quand la France avait-elle subi de telles façons ?

Louis XIV avait dit : « Tout ne m’est rien à l’égal de l’honneur. » Les hommes de la Révolution avaient hérité royalement de ce sentiment du grand roi. Le ministre Delessart a été mis