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je voulais vous amener à lire aussi. — Je ne le pouvais pas, sans rendre impossible la situation de Cadore à Munich ; ce que ma lecture eût ajouté au débat n’était pas assez décisif pour que j’aie cru nécessaire de braver cet inconvénient. »

Précisons la signification de ce vote qui ouvrait un crédit de cinquante millions. Il ne s’agissait pas de soutenir une guerre commencée ; rien n’était compromis ni engagé ; aucune déclaration de guerre n’avait eu lieu, aucun acte irréparable n’avait été consommé, pas une seule armée n’était réunie ; il suffisait d’un vote contraire à nos crédits pour qu’au lieu de la guerre, ce fût la paix qui prévalût. Pendant toute la discussion, on avait envisagé le vote comme devant trancher la question de paix ou de guerre : « De la décision que vous allez émettre, avait dit Thiers, peut résulter la mort de milliers d’hommes. » — « Le Cabinet, avait dit Gambetta, vous a proposé de prendre sur vous-mêmes la responsabilité d’un vote, d’une attitude, d’une décision parlementaire qui lui permettraient d’engager la guerre. » Et, au début même de ses observations, il avait dit : Avant que la guerre soit déclarée. La Chambre était donc maîtresse d’empêcher qu’on la déclarât. Le devoir de ceux qui voulaient la paix était de nous refuser les fonds et de nous renverser. Sous la Restauration, les membres de l’opposition ne votèrent pas les crédits, même après que l’expédition d’Espagne eut été engagée. Si le gouvernement impérial, avant d’envoyer des troupes au Mexique, était venu au Corps législatif réclamer des subsides, les Cinq les eussent-ils accordés ? Voter les crédits, c’était voter la guerre. Aussi les députés qui s’étaient prononcés résolument contre elle n’hésitèrent-ils pus et votèrent-ils non[1]. Le vote de ceux qui ont voté oui signifie : « Marchez à l’ennemi, la Chambre, expression du pays, est avec vous ! » Deux cent quarante-cinq députés pensèrent ainsi[2], au nombre desquels fut Gambetta. Thiers s’abstint, avec Crémieux, Girault et Raspail. Voulût-on exclure du vote tous les candidats officiels et ne considérer comme représentant la nation que les cinquante ou soixante

  1. Ce sont MM. Emmanuel Arago, Desseaux, Esquiros, Glais-Bizoin, Grévy, Ordinaire.
  2. Parmi ces deux cent quarante-cinq, on remarqua les députés suivans, siégeant à la gauche ou à ses confins : MM. Barthélémy Saint-Hilaire, Rethmont, Carré-Kérizouët, Dorian, Jules Ferry, Javal, de Jouvencel, Lecesne, Keller, de Keratry, Gambetta, Magnin, Larrieu, Malézieux, Ernest Picard, Rampont, Riondel, Guyot-Montpayroux, Jules Simon, Wilson.