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qu’ils se dissipent complètement. C’en est un, de la part de ses petits agens et de ses fonctionnaires, de regarder l’État comme un employeur ordinaire, comme un patron qu’il est permis de traiter sur le même pied que les autres, et contre lequel, par exemple, on a le droit de se mettre en grève. L’État fait des conditions à ceux qui veulent entrer dans les fonctions publiques ; mais, une fois qu’ils ont accepté ces conditions, les fonctionnaires doivent les respecter jusqu’à ce qu’elles aient été légalement modifiées. L’État, en effet, se distingue des autres patrons par deux caractères essentiels : il ne travaille pas en vue de bénéfices personnels, et il ne peut pas répondre à la grève de ses employés en se mettant en grève lui-même et en suspendant les services publics. Il ne travaille pas pour lui, ou même seulement pour une partie des citoyens, mais pour tous ; il représente l’intérêt général. On peut trouver quelquefois qu’il le représente mal, et qu’il fait pencher la balance au profit de ceux-ci et au détriment de ceux-là. Si le mal est trop grand, le pays a dans les élections le moyen d’y remédier : en attendant qu’il le fasse, l’État, dont le gouvernement n’est que le principal organe, doit être traité comme le bien commun de tous les citoyens. Nul n’a le droit d’entrer en rébellion contre lui, de lui envoyer des sommations, de rompre brusquement le contrat par lequel il lui a engagé ses services. Nous souffrons tous, en effet, des atteintes portées à l’État : ceux qui les lui portent en souffrent eux aussi, car ils ne peuvent pas se mettre longtemps en dehors de la vie générale. Voilà pourquoi le gouvernement a raison de refuser à ses fonctionnaires, petits ou grands, le droit de grève ; son seul tort est d’apporter dans cette affirmation, et dans la manière dont il en assure le respect, une énergie flottante qui ne rassure jamais complètement les bons citoyens et qui, surtout, ne décourage jamais les autres. Sa marche est incertaine ; elle donne une impression générale d’hésitation et de mollesse, comme si elle était dirigée par un appareil nerveux déséquilibré et non pas par une raison saine et par une volonté constante et ferme.

Peut-être faut-il chercher l’explication de ce phénomène dans la composition même d’un Cabinet où les pires révolutionnaires croient pouvoir trouver des alliés et trouvent pour le moins des complaisans. Et ce qui est vrai du Ministère ne l’est pas moins de la majorité qui le soutient. La Chambre vient de se réunir ; nous avons dit un mot de sa première séance, qui ne préjuge rien ; mais, certes, l’heure est grave et décisive ; la responsabilité de la Chambre est lourde ; le pays lui en demandera compte l’année prochaine. Qui pourrait dire pour-