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frappé le pouvoir plus fort qu’ils ne l’avaient voulu, est retombée sur ceux qui l’avaient donnée. Le public d’aujourd’hui s’accommoderait mal de l’arrêt subit, et peut-être prolongé, de tous les organes dont le mouvement constitue la vie sociale ; il a eu assez d’une première grève des facteurs : lorsqu’on lui parle de grève générale, il commence à s’énerver, il est prêt même à se fâcher, — à moins pourtant qu’il ne se laisse aller à quelque scepticisme en présence d’une menace si souvent renouvelée et jamais exécutée. Beaucoup, aussi, se prennent à penser et à dire que s’il faut vraiment en passer par cette épreuve, le plus tôt sera le mieux, et que le mal, après tout, ne sera peut-être pas aussi grave qu’on avait pu le craindre au premier abord. On se fait à tout. L’idée de la guerre elle-même n’exerce plus sur notre imagination l’effet affolant que nous en avons ressenti la première fois qu’elle s’est présentée à nous d’une manière imprévue : on nous a rendu, au dehors, le service de nous y habituer. Les fauteurs de syndicats et de grèves nous rendent un peu le même service au dedans, en nous familiarisant avec un autre danger. Nous ne disons certes pas que ce danger soit chimérique ; il viendra peut-être, mais il ne nous surprendra pas ; nous serons prêts à y faire face, — et c’est beaucoup d’être prêt, ou même de croire qu’on l’est. Il y a deux mois, le gouvernement a cru qu’il ne l’était pas, et il a reculé sans gloire : aujourd’hui les postiers se croient peut-être plus prêts qu’ils ne le sont, et nous espérons qu’ils s’en apercevront bientôt. Tous, d’ailleurs, ne partagent pas leur confiance aveugle. Les « cheminots, » comme on les appelle maintenant, c’est-à-dire les ouvriers des chemins de fer, qui, naguère encore, semblaient décidés à se mettre en grève avec les postiers, ont annoncé l’intention de procéder à un référendum avant de prendre un parti. Ils savent au surplus très bien que les syndiqués sont au nombre de 40 000 sur 300 000 employés des chemins de fer, de sorte que le référendum, s’il se prononçait pour la grève, risquerait de n’être pas suivi ou de ne produire que des effets partiels. Il y a un profond désordre dans les esprits et le mal qui en résulte est à coup sûr très inquiétant ; mais tout cela ne va pas sans compensations sérieuses, qui ne permettent pas aux perturbations redoutées de se produire avec le caractère « catastrophique » rêvé et prophétisé par toute une école de socialistes. Enfin le gouvernement lui-même prendra, espérons-le, conscience de sa responsabilité et de sa force : celle-ci, pourvu qu’il consente à l’exercer, est plus grande qu’il ne le pense.

Le désordre des esprits n’a pas besoin d’être prouvé : cependant certains sophismes commencent à être percés à jour, en attendant