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à se plaindre de l’existence, que les conditions où il se trouve sont plutôt favorables. Avec tout cela, il n’est pas content, car la cause de sa tristesse est en lui[1]. D’ailleurs, éloigné des autres hommes par une espèce d’hypocondrie, il se propose déjà d’être uniquement un artiste. Le doute n’est pas permis. C’est bien de lui-même que l’auteur des Mémoires d’un fou est le clairvoyant et impitoyable analyste.

Cette veine de littérature personnelle se continuera chez Flaubert. Novembre est une œuvre du même ordre. Maxime du Camp a raconté l’enthousiasme qu’il éprouva quand son ami se révéla à lui en lui lisant ces pages. C’est l’autobiographie d’un tout jeune homme qui n’a ni aimé, ni travaillé, ni vécu, mais qui, par le seul labeur de sa pensée, s’est dégoûté de l’amour, du travail et de l’existence. Au surplus, la signification de l’œuvre est résumée dans une lettre souvent citée, qu’adressait Flaubert à Maxime du Camp et précisément à propos de Novembre. « J’avais dix-neuf ans quand j’ai écrit cela, il y a bientôt six ans. C’est étrange comme je suis né avec peu de foi au bonheur. J’ai eu tout jeune un pressentiment de la vie. C’était comme une odeur de cuisine nauséabonde qui s’échappe par un soupirail. On n’a pas besoin d’en avoir mangé pour savoir qu’elle est à faire vomir[2]. » On sait enfin que Flaubert avait écrit une première Éducation sentimentale qui n’a, avec le roman publié plus tard, à peu près rien de commun que le titre. Là encore l’autobiographie domine. Des deux jeunes gens qui sont mis en scène, l’un, Jules, « s’éloigne sans motifs apparens de toute société active : il se confine dans la retraite, lit, médite, s’observe et développe ses fonctions intellectuelles. » Et Flaubert lui avait prêté ses propres sentimens, ses études, ses lectures. Tel est ce genre de la littérature analytique et de l’autobiographie sentimentale, qui appartient en propre au romantisme et qui fut longtemps pour Flaubert son genre de prédilection.

C’est encore un jeune homme romantique qui, un beau matin, joyeux pour une fois et l’âme allègre, part, le sac du voyageur au dos et le bâton en main, pour un voyage en Bretagne. Le voyage à travers la France, parmi les monumens du passé, avait été, au temps de Charles Nodier et du baron Taylor, une des nouveautés les plus heureuses et les plus fécondes de l’école. Le pittoresque de l’histoire y voisine avec celui du paysage. Flaubert a merveilleusement exprimé dans quelques fragmens de Par les champs et par les grèves ce qu’il appelle les tentations de l’histoire. Il rêve devant des portraits

  1. Correspondance, 15 avril 1839.
  2. Correspondance, avril 1846.