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différentes, mais presque aussi vives que sous le soleil. C’est ce qui est très visible dans son Canal en Hollande à la nuit (salle XVI) et ce qui étonne au premier abord. Mais une observation plus attentive démontre que, par certains temps et dans de certaines conditions d’atmosphère, il en peut être ainsi. La nuit a plus d’un visage et elle sait sourire quand on la guette longtemps.

Si nous passons au Salon des Champs-Elysées, nous la voyons presque aussi claire dans le grand tableau qu’expose M. Quittner (salle 3) sous ce titre : l’Écluse. La fraîcheur de la rivière qui s’épand et bouillonne, quand tout repose et se resserre sur la terre, le protéisme des eaux qui tantôt étalent la lumière comme un miroir, tantôt la brisent comme un prisme, le visage de la lune, enfin, dont le reflet d’or commence en lingot et finit en paillettes, — tout cela est rendu avec un extrême bonheur.

Un effet semblable, mais beaucoup plus pénible à saisir, a été visé par M. Julius Olsson (salle 39) en regardant la mer roulée par le vent, la nuit, en épaisses volutes sur les côtes de Cornouailles. La lune, à demi obturée par des déchirures de nuages aux franges orangées, darde sur les vagues une éblouissante lumière. Les verts s’exaltent, chaque goutte d’eau scintille, les vagues hautes jettent des ombres portées violacées sur l’eau mouvante, et au bout d’un cap mince et sombre, brille à peine, très juste en son effacement, le feu orangé d’un phare. Chargée à l’excès, trop encombrée de notules, cette page n’en est pas moins une sérieuse contribution à l’étude de la nuit.

La nuit sans décors, sans miroirs, sans falbalas, la triste nuit des toits et des puits d’air parisiens a été notée très exactement par Mme Gross sur une toile intitulée Autour de l’Institut (salle 30) avec les reflets sournois, livides ou orangés, carminés ou verdâtres, projetés par les éclairages internes des maisons sur les murs d’en face et les bow-windows luisant, dans l’ombre, d’une équivoque lueur d’aquarium. Le regard qui plonge dans cette nuit y démêle, peu à peu, chaque chose, et Sherlock Holmes pourrait y faire tout un plan de campagne, tandis qu’au loin, derrière la coupole, se devine la fausse aurore produite par les lumières de la grande ville au bord du ciel. On imagine ainsi ce qu’apercevait Littré quand il détachait son regard des manuscrits de son dictionnaire, pour le plonger dans la nuit…

Et l’on imagine la Fête chez Thérèse, d’Hugo, toute semblable à celle que nous montre M. Albert Laurens (salle 26), sous ce