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trouent les dômes de feuillage et, goutte à goutte, filtrent à travers les taillis. Seuls, quelques animaux reposent : les autres se lèvent et courent et s’aventurent dans les découverts des plaines ou sur la berge des rivières. Ces mouvemens au ras du sol, ces ondulations mystérieuses que savent bien le chasseur à l’affût, le trappeur et la sentinelle en campagne, prêtent à la nuit une vie intense et secrète que l’art doit exprimer.

Qu’y a-t-il de semblable dans les clairs de lune de Rubens ou de Van der Neer, de Joseph Vernet ou de Van Borsum ? Que peut-on même en démêler dans les clairs de lune de Turner, soit l’étude faite à Millbank en 1799, soit sa Nouvelle lune peinte en 1840 ? Vainement on chercherait, alors, la fusion des plans, la concentration des détails en grands blocs d’ombre, le frisson lumineux des cimes et des arêtes, ou encore les paillettes d’argent charriées par les eaux, les nappes de neige écrasées dans de l’azur, le luisant des toits, l’enfoncement des divers points lumineux dans l’espace, les charpies des nuées glissant sur le disque lunaire, la palpitation des étoiles, qui nous jettent, puis retirent à elles leurs antennes de feu, la poésie de ces astres vagabonds d’où sont peut-être tombés sur notre terre les premiers germes de la vie ; et au-dessous de tout cela, les angles émoussés, les trous calfeutrés de la mystérieuse ouate de l’ombre et les vapeurs circulant autour des choses comme le signe visible de l’interchange qui se fait de l’air à la feuille et de l’humus à l’air, toute cette vie propre de la nature pendant la nuit : — tout ce que, de nos jours, Cazin, Whistler, Chaigneau, M. Le Sidaner, M. Meslé, M. Henri Duhem, M. Cachoud ont si bien rendu, — était fort indifférent aux artistes classiques. Ils se représentaient lu nuit comme Michel-Ange : une statue qui dort. Pour eux, la création n’étant qu’un cadre aux gestes de l’homme, quand le roi de la création sommeille, rien n’est plus digne d’être observé.

Il fallait, pour s’y appliquer, le sentiment vaguement panthéiste de nos modernes artistes et, pour y réussir, leur attentive curiosité. Il est à peine utile de dire que les premiers essais furent tentés par les Anglais : on citerait malaisément, dans la peinture, un seul mouvement d’art nouveau, au XIXe siècle, dont ils ne furent pas les initiateurs. C’est Holman Hunt, se dévouant, de 1850 à 1870, avec sa ferveur et sa conscience préraphaélites, à surprendre, en quelque pays qu’il fût, à Londres, à