Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nord veillant à bord de leurs bélandres, les braconniers ou affûteurs de la Brie, longeant la futaie en portant leurs collets, les bergers ramenant leurs moutons au parc, les paysans bretons rentrant tard du cabaret et se signant devant le vieux calvaire blanchi par la lune, tous ces noctambules de plein champ peuvent avoir rencontré, sur leur route, quelque ombre immobile en forme d’homme, parfois éclairée par une lanterne de bicyclette, un jet livide d’acétylène, et absorbée dans une inexplicable besogne. Garde-chasse, garde-côte, chemineau, revenant, ami ou ennemi, qui ce pouvait-il être ? C’était peut-être, jadis, Cazin ou Jules Breton, ou plus récemment M. Henri Duhem, peut-être M. Meslé, peut-être M. Edward Steichen, peut-être M. Cachoud, peut-être M. Perrinet ou vingt autres qui se dévouent maintenant à reproduire minutieusement les aspects de la nuit et dont nous voyons les œuvres, depuis deux ou trois ans, tant aux Salons de printemps qu’au Salon d’automne et aux petites expositions particulières, notamment chez M. Georges Petit.

Les gens qui se divertissent à prendre en défaut les prophéties et à voir choir en des puits les astronomes, trouveront, de la sorte, quelque agrément à parcourir les Salons de 1909, s’ils se souviennent de tout ce que la Critique « réaliste, » ou « impressionniste, » ou « positiviste, » nous annonça, jadis, des destinées de l’art. Elle nous prédisait qu’on ne verrait plus, au XXe siècle, que des toiles papillotantes de lumière, et voici que les œuvres assurément les plus considérables exposées avenue d’Antin sont les paysages sombres de M. René Ménard et les sombres portraits de M. Jacques Blanche. Elle nous annonçait la disparition des dieux de l’Olympe et des allégories, devant le positivisme des ateliers, et voici que M. Besnard, comme M. Dubufe, et M. Auburtin comme M. René Ménard, ont peuplé leurs panneaux décoratifs de déesses casquées, de Paris offrant des pommes ou d’allégories venues tout droit des fables de l’antiquité. Cette même critique tenait pour certain le triomphe pittoresque de l’usine, de la locomotive et autres monstres mécaniques déchaînés parmi nous, et nous n’en voyons quasi plus une seule, image avenue d’Antin. Enfin, elle proscrivait, en faveur de la banlieue parisienne ou de la Beauce, les terres choisies du paysage historique ou romantique et, maintenant, il n’est guère de salle où l’on n’aperçoive quelque Venise, quelque