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l’Hellène, pour qu’il soit inutile d’y revenir. Il est cependant un trait du caractère hellénique, qu’on ne saurait trop mettre en lumière : c’est la force exceptionnelle du patriotisme. Le Grec est, à coup sûr, le plus intransigeant de tous les nationalistes orientaux, le plus convaincu de la grandeur et de l’avenir de sa race.

En arrivant à Athènes, ou dans telle autre grande ville levantine, demandez seulement le Bottin hellénique, et vous serez immédiatement édifié sur la vitalité de l’hellénisme et l’étendue de ses ambitions. Ce Bottin se divise en deux parties : l’une rédigée en français et l’autre, en grec. La partie française est d’une sécheresse et d’une insignifiance tout officielle. Mais qu’on déchiffre seulement les premières lignes de la partie grecque, et l’on apprendra que le royaume hellénique actuel n’est qu’une faible partie de la Grèce véritable, la Grèce non rachetée, qui comprend les territoires, les mers et les îles de l’ancien empire byzantin, et dont la capitale réelle n’est pas Athènes, mais Constantinople. Stamboul, la Ville des villes, demeure toujours, pour le Grec, le siège de l’Autocrator invisible, de Celui qui viendra, qui ne peut pas manquer de venir, pour rétablir son peuple dans son héritage. L’obsession de cette idée fixe se trahit par une foule d’indices, tous plus suggestifs les uns que les autres. Constantinople et Constantin Paléologue, le dernier des empereurs, hantent jusqu’aux imaginations de la foule. Regardez les plaques des rues, les chromos et les imageries enfantines qui s’étalent le long des murs et dans les kiosques de journaux, parcourez les brochures populaires qui s’y débitent, vous y retrouverez perpétuellement les mêmes noms, les mêmes allusions et les mêmes souvenirs. Entrez dans un théâtre de carrefour, il y aura beaucoup de chance pour qu’on y donne, ce soir-là, la Prise de Constantinople, à moins que ce ne soit l’Abdication du roi Othon ou la Mort de Paul Mélas. A Constantinople même et dans l’Empire ottoman, ces manifestations patriotiques ne sont pas possibles comme en Grèce ; mais le nationalisme, pour être caché au fond des cœurs, n’en est que plus ardent. Le mardi, jour de la prise de Stamboul par les Turcs, est encore maintenant un jour de deuil pour les Hellènes. Il est entendu que, ce jour-là, les domestiques ne travaillent pas, en signe de douleur patriotique : ce qui fait le désespoir des dames européennes qui emploient des cuisinières grecques.