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prestige et notre politique d’abstention et d’effacement, malgré l’écho fâcheux de nos querelles religieuses, les choses de France continuent à passionner les Chrétiens de Syrie. Dans une bourgade perdue de la Bekka, alors que, depuis des semaines, je n’avais reçu un journal français, un commerçant de Damas m’apprit le renversement du ministère Combes. Et ce brave homme discutait les chances du ministère Clemenceau avec le même intérêt qu’il eût apporté dans une affaire toute personnelle. En réalité, c’est toujours vers la France que les patriotes de là-bas tournent leurs regards. Ils sont tellement habitués à ce que nous venions à leur secours ! Mais ces beaux rêves d’autonomie paraissent encore bien loin de leur réalisation. L’important, pour nous, c’est de ne pas oublier que, dans ce petit coin de terre, nous avons des cliens qui se souviennent, et des amis qui brûlent d’agir.


V

Entre Syriens et Juifs, il y a le lien de la race : entre Juifs et Hellènes, il y a de saisissantes affinités de caractère. Par leur génie commercial, leur maîtrise financière, l’espèce de fascination qu’ils exercent sur l’argent, leur labeur opiniâtre et leur économie, leur faculté d’envahissement et d’ubiquité, ils sont les uns pour les autres des rivaux redoutables. En général, le Grec tue le Juif. Dans les petits centres, où le négoce est aux mains des Hellènes, le Juif n’arrive pas à s’implanter. Et, de même que le Juif oriental ne conçoit guère la culture désintéressée, de même aussi le Grec n’a que par exception le sens littéraire ou l’esprit scientifique. Ces hommes positifs conservent sans doute un respect traditionnel pour le savoir ; mais ils ne le pratiquent que dans un dessein utilitaire et ils laissent à de moins occupés le soin de l’accroître et de le cultiver pour lui-même.

Bien plus que le Juif, que le Syrien et l’Arménien, le Grec est partout en Orient. On ne voit que lui, il éclipse jusqu’au Musulman, qui est, de beaucoup, plus nombreux. C’est qu’il force et accapare toute l’attention par l’omniprésence de son activité. Les enseignes de ses boutiques vous accrochent l’œil ; ses cafés vous happent au passage ; ses docks et ses usines vous barrent le chemin, et il faut bien descendre dans ses hôtels ou dans ses gargotes. On peut dire que, virtuellement, l’Empire