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désespoir jusqu’à en devenir folle, voilà des héros comme le romantisme lui-même s’en est rarement permis chez nous. Remarquer cela, c’est toucher du doigt une des anomalies les plus curieuses de l’âme syrienne. Ces exaltés d’amour sont fréquemment des déséquilibrés. Il arrive d’ailleurs que l’amour n’y soit pour rien. Comme il y a une névrose juive, il y a une névrose syrienne, qui procède des mêmes causes. Surmenage d’activité, tension excessive des nerfs, contact déprimant ou trop brusque avec une civilisation nouvelle, tares physiologiques ou morales produites par l’atavisme de la misère et de l’esclavage, tout cela contribue à former des tempéramens qui ne sont pas très sains. Le frein de la croyance religieuse ou d’une foi quelconque étant supprimé, ce sont des victimes toutes désignées pour l’anarchisme intellectuel, la débauche et la démence. Autrefois, dans la Rome impériale, la corruption syrienne était célèbre. De toutes les contagions de la monstrueuse Asie, c’était celle qu’on y redoutait le plus. Aujourd’hui encore, le Syrien riche et désœuvré qui se lance dans les milieux cosmopolites européens, ne semble pas une bien bonne recrue pour la civilisation.

Mais n’empiétons pas sur l’avenir. Tel qu’il est présentement, — avec son intelligence, sa culture, sa fièvre de labeur et d’ambition, — le Syrien de l’élite est peut-être le plus brillant représentant, en tout cas, l’une des meilleures forces de l’Orient moderne. L’attachement qu’il professe pour notre pays achève de nous le rendre sympathique. Oui, en Syrie, on aime la France, et cela du haut en bas de l’échelle, dans toutes les classes de la population chrétienne. Il est vrai que nous leur avons rendu assez de services pour mériter un peu de leur reconnaissance. Sans parler des écoles que nous subventionnons chez eux depuis si longtemps, ils se souviennent toujours de notre intervention en 1860. Lorsque l’empereur Guillaume II débarqua à Beyrouth, il y fut très froidement accueilli : sur un mot d’ordre mystérieusement propagé, les villages du Liban s’abstinrent de pavoiser et d’illuminer en son honneur. Je ne connais rien de plus touchant et de plus réconfortant pour nous que cette fidélité des cœurs syriens. Une vieille femme du pays, qui me parlait de la France, me disait : « Nous avons pleuré, monsieur, en 1870, quand nous avons appris que les Allemands étaient chez vous. Vos soldats que nous avions vus si braves… ah ! nous ne pouvions pas croire !… » Même maintenant, malgré la diminution de notre