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formes de civilisation par où s’est manifesté le génie de leur pays, ils ne s’en tiennent pas à l’Islam. Ils remontent jusqu’à leurs obscures origines phéniciennes et ils commencent à s’en réclamer ; ils essaient de percer le mystère qui enveloppe cette période de leur histoire. Les deux auteurs français que j’ai le plus entendu louer en Syrie, c’est Flaubert et Renan. On devine pourquoi : Salammbô et la Mission de Phénicie restituent aux imaginations syriennes un peu du lointain passé qui leur est cher. Flaubert surtout, en symbolisant dans sa Carthage la suprême expansion de la puissance phénicienne, émeut les bacheliers de Beyrouth. J’ai déjà remarqué une prédilection semblable en Tunisie et en Algérie. Comme le quatrième livre de l’Enéide, à cause de l’épisode de Didon, était commenté passionnément par les rhéteurs africains, peut-être que le roman de Flaubert deviendra de plus en plus, pour la Jeune-Syrie, une sorte de poème national.

On sent bien que le patriotisme se mêle, d’une façon plus ou moins consciente, à cette ferveur littéraire. Les Syriens sont profondément patriotes. L’autonomie administrative dont jouissent les Maronites Libanais, ils voudraient qu’elle fût étendue à la Syrie tout entière. Là-dessus, Musulmans et Chrétiens sont d’accord. Tous n’aspirent qu’à secouer le joug de la bureaucratie ottomane. Mais voici que des projets plus hardis commencent à se dessiner. Las d’être constamment sacrifiés à l’intérêt de la faction qui détient le pouvoir central, — que ce soit l’ancienne camarilla d’Yldiz-Kiosk ou le Comité Union et Progrès, — ils formulent d’ores et déjà des vœux nettement séparatistes. On se constituerait en Etat autonome sous le protectorat d’une grande puissance. Les mots de « république » ou de « royaume arabe » sont prononcés plus ou moins ouvertement. On s’adjure, entre Chrétiens et Musulmans, d’oublier les vieilles haines pour s’unir contre l’ennemi commun, qui est le Turc ; au nom de leur parenté d’origine, ils prétendent oublier leurs inimitiés religieuses, et tout ce qui les divise dans le passé comme dans le présent. Malheureusement, le but paraît encore bien lointain, et la concorde nécessaire pour l’atteindre, bien difficile à obtenir entre des élémens de population dont les mentalités sont si différentes, — sans parler des difficultés diplomatiques à prévoir, des complications internationales. Mais, pour ne s’être dépensé jusqu’ici qu’en dissertations et en discours, le zèle patriotique