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ses anciens coreligionnaires. Je ne sais si, pour les Hellènes, la sanction est aussi terrible, mais le fait est qu’ils ne se convertissent pas davantage et que l’abandon de l’orthodoxie par l’un d’eux serait considéré par les autres comme une infamie.

Cependant on objecte que les Coptes ne se montrent pas aussi réfractaires et que les missions américaines, à coups de dollars, en détournent un certain nombre vers le protestantisme. On signale en outre une propagande maçonnique, assez récente, parmi les chrétiens maronites. On prétend que les émigrés libanais revenus des Etats-Unis en seraient les agens clandestins. Mais, comme on me le disait à Beyrouth, si ce mouvement, encore à ses débuts, est anti-clérical, il n’est nullement antichrétien. Et, pour ce qui est des Coptes passés au protestantisme, il sied de les ranger dans la même catégorie que ces Chrétiens de Jérusalem, tourbe famélique qui fait de la conversion métier et marchandise.

En réalité, chaque communauté religieuse demeure très attachée à ses rites et à ses usages, sinon à ses croyances. On peut même admettre qu’une fidélité tout extérieure s’accommode parfaitement, chez les Levantins, d’une sorte de scepticisme analogue à la libre pensée occidentale. Ce scepticisme se rencontrerait aussi chez les gens du peuple. Quelqu’un me disait, à Constantinople : « Comment voulez-vous que la foi d’un pauvre diable résiste au spectacle de tant de religions concurrentes et qui se révèlent les unes aux autres sous leur aspect le plus agressif et le plus désobligeant ? Il y en a tellement, ici, des religions, qu’on ne sait plus à quel saint se vouer ! » De leur côté, les Chrétiens et les Juifs cultivés ne vous épargnent point les professions rationalistes. Cela n’empêche pas que, le dimanche, ou le samedi suivant, on retrouve ces mêmes gens à l’église ou à la synagogue. Ce médecin grec, qui vous a débité son credo matérialiste, suit fort dévotement la procession du vendredi-saint, nu-tête et un cierge à la main. Ce professeur juif, qui accuse les Jésuites d’être des pédagogues arriérés, explique la Thora devant ses coreligionnaires assemblés. Un scepticisme qui se manifeste si scrupuleux observateur des pratiques dévotes est, en vérité, bien particulier. Si c’est du cléricalisme, c’en est une espèce qui ne s’épanouit guère qu’en Orient, c’est-à-dire dans un milieu où, plus que partout ailleurs, la question religieuse se ramène à une question de race. Pratiquer y équivaut à faire acte de nationalisme. Tous