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autres. J’aime mieux dire tout de suite combien cette charité mutuelle des Levantins est intelligente et avisée (toujours l’esprit pratique ! ). Elle ne se prodigue pas au hasard et sans discernement, comme il arrive trop souvent chez nous. Pour qu’un Chrétien ou un Juif oriental ait droit au secours de ses frères, il ne suffit pas seulement qu’il soit malheureux. L’aide qu’il obtient est proportionnée à son mérite et à sa valeur sociale. Tout individu qui représente une force, quelle qu’elle soit, est sûr d’être encouragé, appuyé, assisté pécuniairement par ses coreligionnaires. Un jeune homme d’avenir qui, par son labeur, peut accroître ou la richesse ou le prestige moral de la communauté, rencontre presque toujours des protecteurs empressés. Pour nous autres Européens, dont l’humanitarisme égalitaire a faussé le jugement et perverti le sens altruiste, je ne connais pas d’exemple plus édifiant que cette solidarité intelligente qui tient compte des aptitudes et qui s’applique surtout à favoriser les forces vives de la race. En cela, ces Orientaux sont dignes de tous les éloges. Dans un grand hôtel du Levant, fréquenté en majeure partie par des Hellènes, j’ai vu des jeunes filles du meilleur monde entreprendre une quête au bénéfice d’un étudiant pauvre qui ne pouvait pas achever ses études. Ailleurs, j’ai assisté à de véritables fêtes triomphales données par une colonie syrienne en l’honneur d’un compatriote qui venait de remporter un succès littéraire. Et l’on ne se bornait pas à régaler le triomphateur d’un banquet et à lui faire respirer l’encens de la louange : des dons en argent, des contributions volontaires précisaient le sens fraternel de cette manifestation.

Une solidarité aussi étroite que celle-là s’expliquerait malaisément sans l’étroitesse du lien religieux. Pour les Chrétiens et pour les Juifs orientaux, comme pour les Musulmans, il faut répéter encore, — et malgré certaines apparences contraires, — que la religion est tout. En forçant un peu la note, on pourrait même les taxer, eux aussi, de fanatisme. S’il est presque impossible de citer un Musulman qui se soit converti au christianisme, parce qu’il y risque sa vie, il est tout aussi impossible de citer un Juif ou un Hellène qui ait abandonné sa religion. Le directeur de l’Ecole Ratisbonne, à Jérusalem, — école fondée spécialement pour recueillir les jeunes Israélites convertis, — m’affirmait qu’en réalité on n’y opérait aucune conversion, attendu qu’un juif renégat serait immédiatement mis à mort par