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droit ; il avait refusé de recevoir Benedetti, parce qu’il lui avait déjà dit son dernier mot ; c’était encore son droit ; il informait par télégramme son ministre de ce qui s’était passé à Ems, c’était encore son droit ; mais tout ceci fait, il avait le devoir rigoureux, avant de mettre le public dans sa confidence, d’attendre la réponse que nous ferions à son refus. S’il s’était conformé à ce devoir, nous aurions pris acte de son approbation, et laissé tomber la demande de garanties. C’eût été encore la paix comme le 12 au soir : cette paix n’eût pas été aussi triomphante, car un échec partiel en aurait amoindri l’éclat. Mais, sous un certain rapport ce n’eût pas été sans quelque avantage, car le roi de Prusse, ayant ainsi obtenu un adoucissement à son premier déboire, n’eût pas conservé contre nous le même ressentiment d’amour-propre. En divulguant prématurément son refus, il supprimait en fait cette possibilité de la reprise ultérieure de la négociation à Berlin, qu’admettait, selon la juste remarque de Rathlef, le texte même du télégramme. On comprend alors le mot que prête Busch au Roi quand il fait envoyer la dépêche d’Abeken : « Maintenant Bismarck va être content de nous. »


VI

Bismarck avait passé la journée du 13 en plein dans la crise de fureur, d’anxiété, de désespérance dans laquelle il était plongé depuis son arrivée à Berlin, rugissant comme un lion enfermé dans les barreaux d’une cage. Plus il le pesait, plus l’événement lui apparaissait gros de conséquences pénibles à supporter : il avait cru prendre, il était pris, il s’était découvert sans profit, son roi était compromis ; il nous avait réveillés en sursaut de notre rêve pacifique, et, désormais, nous allions nous tenir sur nos gardes ; l’Europe était édifiée sur la valeur de ses déclarations rassurantes, le prestige de la Prusse en Allemagne était diminué et l’Unité, sous le sabre prussien, retardée. Il s’écriait comme son Shakspeare : « France, je suis enflammé d’un courroux brûlant, d’une rage dont l’ardeur a cette particularité que rien ne peut l’apaiser, si ce n’est le sang, le sang, et ce sang français tenu pour le plus précieux. » L’ambassadeur anglais Loftus étant venu le féliciter de la solution de la crise, Bismarck exprima le doute que la renonciation tranchât le différend. A l’en croire, il aurait reçu le malin des dépêches de Bremen,