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et Nazim pacha du côté de la garnison de Constantinople ; on a cru ou semblé croire qu’on s’était mis d’accord : mais il est douteux que Nazim pacha ait été maître de ses soldats. Chevket a adressé un télégramme au Sultan pour lui dire que « par suite de corruptions récentes dans la Garde impériale, le pouvoir du gouvernement avait été complètement annihilé, » et qu’il venait le rétablir : son respect était absolu pour la personne du Sultan. Abdul-Hamid s’est empressé de répondre qu’il s’agissait moins de sa personne dans les circonstances actuelles que des moyens de guérir les maux dont souffrait le pays : il ajoutait que l’accusation dirigée contre les soldats d’avoir été achetés était très grave, et qu’il était urgent de faire sur ce point une enquête sérieuse. « Si les soldats, ajoutait-il, touchaient de l’argent pour prendre parti dans des controverses politiques, on ne peut pas savoir combien de mal cela engendrera. » C’est par ces passes d’armes savantes, mais vaines, qu’Abdul-Hamid préludait aux derniers événemens qui allaient s’accomplir. Il est probable que son parti était pris de résister : en tout cas, la garnison de Constantinople y était décidée. Le vendredi 23 avril, lorsque le Sultan s’est rendu au sélamlik, — qui pouvait dire si ce n’était pas pour la dernière fois de sa vie ? — les journaux ont constaté sur sa figure un air de résolution qui ne lui était pas habituel. On l’a acclamé comme d’habitude, comme on acclame tout le monde à Constantinople, comme on a acclamé vingt-quatre heures plus tard l’armée de la Constitution victorieuse. Le samedi, en effet, les troupes d’investissement ont pénétré dans la ville. Elles y ont rencontré une vive résistance ; autour de plusieurs casernes, le combat a été meurtrier, et, lorsque la journée s’est terminée, les batteries jeunes-turques dominaient et menaçaient Yldiz-Kiosk. Le bombardement semblait imminent ; on disait que le Sultan s’était enfui, mais personne n’en savait rien : et la nuit a couvert de ses ombres tragiques le mystère de ce que ; devait être le lendemain.

Le lendemain, toute résistance étant d’ailleurs impossible, les troupes qui défendaient Yldiz-Kiosk se sont rendues. On a dit d’abord que le Sultan leur en avait donné l’ordre, puis qu’il avait laissé la lutte se poursuivre jusqu’au bout. La première version semble la plus vraisemblable, car Abdul-Hamid savait bien que sa vie était en jeu et que, s’il brûlait imprudemment sa dernière cartouche, il en resterait encore à l’armée assiégeante pour se venger. Quoi qu’il en soit, le bombardement d’Yldiz-Kiosk n’a pas eu lieu ; l’armée assiégeante n’en a pas eu besoin pour s’emparer de la place ; le Palais et le Sultan sont tombés entre ses mains ; les Jeunes-Turcs ont été bientôt maîtres de tout, et on