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Français autour d’un même principe. Il y avait, disait-on, deux Frances : on voulait supprimer outre elles tout ce qui les empêchait de se rapprocher. On y a aussi mal réussi que possible : le fossé entre les deux Frances est plus profond, l’écartement entre elles est plus large que jamais. Nos sectaires continuent d’espérer que leur vœu sera enfin accompli lorsqu’ils auront définitivement détruit le catholicisme ; mais le concours de Français qui s’est produit à Rome pour assister à la béatification de Jeanne ne montre pas ce résultat comme sur le point d’être atteint. On dit même que certains Italiens ont éprouvé quelque ombrage d’une aussi imposante, d’une aussi grandiose manifestation faite autour du Saint-Père. Ils peuvent se rassurer : personne chez nous ne songe à ébranler les bases, d’ailleurs inébranlables, sur lesquelles repose l’Italie contemporaine. Il y a en histoire des solutions définitives ; mais certaines choses ne méritent pas un moindre respect, et l’amour que tous les hommes doivent porter à leur patrie respective en est une. Ces sentimens s’accordent fort bien d’un pays à un autre : ils doivent opérer entre eux un rapprochement fait d’estime mutuelle et de sympathie.


La quinzaine qui vient de s’écouler comptera dans l’histoire déjà si tourmentée de l’Empire ottoman : elle a dépassé en imprévu tout ce qui s’était produit jusqu’à ce jour. Nous ne voulons pas dire par-là qu’il était impossible, ni même bien difficile, de prévoir que les élémens réactionnaires déconcertés pas la révolution de juillet dernier, mais restés nombreux, agissans et puissans, chercheraient à reconquérir le terrain perdu. La résignation soudaine avec laquelle le Sultan, après plus de trente ans de gouvernement absolu, avait accepté sa déchéance morale et politique, ne devait tromper que ceux qui voulaient être trompés. Il pouvait y avoir intérêt pour les Jeunes-Turcs à avoir l’air crédule et confiant, comme il pouvait y avoir intérêt pour le Sultan à avoir l’air satisfait de son sort ; mais, sous cette surface artificielle, les cœurs, puisqu’ils continuaient de battre, devaient être inquiets d’une part, et profondément ulcérés de l’autre.

Le Sultan, qu’il le voulut ou non, était un principe d’opposition dans l’édifice nouveau, trop nouveau en vérité pour être bien solide et dont les fondemens reposaient sur le sol sans qu’on eût eu le temps de le creuser pour les y incruster. Dans quelle mesure Abdul-Hamid a-t-il conspiré contre la Jeune-Turquie, on ne le sait pas encore et peut-être ne le saura-t-on jamais avec certitude, il est trop habile pour n’avoir pas caché soigneusement son jeu ; mais comment