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paysanne de Lorraine et que, de son cœur d’enfant du peuple, est sorti le cri de patriotisme le plus entraînant qui ait jamais retenti ? Aussi appartient-elle également à tous les Français patriotes, sans qu’aucun groupe particulier, aucun parti, aucune coterie ait le droit de la dire plus particulièrement sienne.

Et certes, rien n’a été plus loin des intentions de l’Eglise catholique que d’accaparer sa gloire en la consacrant à sa manière. On sait que, depuis longtemps déjà, il était question de la béatification de Jeanne, et, si l’on devait s’étonner de quelque chose, ce serait du temps qu’il a fallu pour aboutir au dénouement. L’Église, qui invoque pour elle des promesses d’éternité, ne fait rien à la hâte : elle regarde passer les générations successives, sans être tentée de se mettre au pas d’aucune d’elles. Le procès de béatification de Jeanne ; a donc été très long ; mais, une fois entamé, il ne pouvait pas avoir une autre conclusion que celle qui s’est enfin produite. Jeanne, en effet, a puisé toutes ses inspirations dans la religion de son temps, dont elle était profondément pénétrée. Elle était avant tout une croyante ; elle a toujours écouté des voix lointaines ; elle n’a pas cessé de regarder vers le ciel. Aussi les catholiques français auraient-ils été très contristés si Rome ne lui avait pas rendu justice. Elle a été victime des passions et des troubles d’une époque où tout était confondu. Aujourd’hui, avec la distance des siècles, avec le recul de l’histoire, ces confusions devaient être dissipées et il faut se féliciter qu’elles l’aient été. Les catholiques pourront voir désormais en Jeanne autre chose encore qu’une héroïne : le plus étroit, le plus détestable esprit de parti pourrait seul le trouver mauvais. Chacun est libre d’appliquer à Jeanne le genre de vénération qui lui convient, sans que la part qui est attribuée aux uns diminue celle qui continue d’appartenir aux autres. On dit cependant que notre gouvernement a donné des instructions pour que les fêtes de Jeanne d’Arc, à Orléans, n’aient pas cette année le même éclat que les précédentes. S’il en est ainsi, une pareille résolution ne saurait être trop sévèrement condamnée. On se rappelle, au surplus, que, depuis plusieurs années déjà, les libres penseurs et notamment les francs-maçons d’Orléans avaient émis des prétentions qui devaient contrarier et déranger les manifestations traditionnelles en faveur de la libératrice de leur ville. Nous verrons probablement cette année une nouvelle tentative du même genre ; les précédentes n’avaient réussi qu’à moitié ; qu’adviendra-t-il de celle-ci ?

Peut-être le gouvernement, dont on connaît l’élévation d’esprit et de caractère, cherche-t-il, par cette mesure à prendre sa revanche