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journaux publient toute la correspondance échangée entre le vice-roi et le consul général des Etats-Unis : ainsi Je public est pris à témoin et mis à même de juger de quel côté est le bon droit ; là encore se révèle l’esprit démocratique des guildes.

En septembre, un incident tragi-comique vient faire éclater la violence du sentiment populaire contre les Américains. M. Taft, alors secrétaire d’Etat, et miss Roosevelt, au cours de leur voyage dans les mers du Pacifique, arrivent à Canton. Les négocians américains espéraient que cette visite et les fêtes qu’elle ne manquerait pas de provoquer apaiseraient les esprits et les prépareraient à une conciliation. Il n’en fut rien. Tous les efforts du vice-roi ne réussirent qu’à sauvegarder la sécurité des illustres voyageurs. En vain, le vice-roi fit afficher une proclamation qui affirmait que « bien accueillir des hôtes est un, acheter ou ne pas acheter des marchandises est autre ; » les dispositions de la foule paraissaient peu conciliantes. La corporation des porteurs avait décidé, plusieurs jours d’avance, qu’elle refuserait ses services à la fille du président des Etats-Unis et au secrétaire d’Etat ; ni pour argent, ni par menace, il ne fut possible de trouver un seul porteur. Un missionnaire américain avait pris la précaution d’amener, de fort loin, des porteurs choisis parmi ses catéchumènes protestans ; dès qu’ils eurent reçu la consigne des chefs de leur corporation, ces paysans, comme les citadins, se croisèrent les bras. Miss Roosevelt, arrivée sur la canonnière américaine Callao, dut se résigner à débarquer, à quatre heures du matin, dans l’île de Shamien, où est situé le Consulat des États-Unis ; puis elle s’enferma sous la protection du drapeau étoile jusqu’à l’heure de son départ, faisant à mauvaise fortune bon visage et riant des affiches placardées contre elle qu’heureusement elle ne vit pas et dont personne ne s’avisa de lui expliquer le sens injurieux et grossier. M. Taft, lui non plus, ne traversa pas la ville ; il alla voir le chemin de fer de Sam-Sui et se rendit à un banquet officiel où, dans un toast à la fois flatteur et menaçant, il rappela les services rendus par les États-Unis à la Chine, se plaignit que, malgré les traités qui assuraient la liberté du commerce, les marchandises américaines fussent traitées en ennemies, et laissa entendre que les États-Unis sauraient, même par la force, faire respecter leurs droits. Au moment de l’embarquement, une foule hostile accueillit M. Taft et miss Roosevelt avec des sifflets et des huées. Quelques