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organisèrent des boycottages : on en cite quelques exemples où tous les efforts de la diplomatie ne purent venir à bout de la ténacité corporative. On n’a pas oublié, dans les chancelleries, le boycottage de la maison française Marty à Pakhoï. En 1904, deux maisons allemandes de Hankeou durent capituler devant un boycottage. On se souvient aussi des longues difficultés, des émeutes même, que provoqua, sur notre concession de Chang-Haï, la guilde des gens de Ning-Po pour une question de tombeaux[1]. Ainsi se manifestait la puissance des guildes, mais jusqu’alors il ne s’agissait que de boycottages locaux et partiels. Il n’est pas besoin de redire ici comment la guerre sino-japonaise et surtout la victoire des Japonais sur les Russes ont éveillé le sentiment national et créé dans l’Empire du Milieu un grand mouvement de progrès et de réformes. La Chine emprunte les méthodes et les outils des étrangers afin de pouvoir, un jour prochain, se passer d’eux. Les incidens qui ont amené le boycottage des marchandises américaines d’abord, japonaises ensuite, ont manifesté avec éclat la transformation profonde qui pousse la vieille Chine dans des voies nouvelles.

Rappelons seulement que ce fut à l’occasion du renouvellement de la convention sur l’émigration des Chinois aux États-Unis qu’éclata brusquement le mouvement hostile aux Américains. Les États-Unis avaient toujours eu, avec le gouvernement chinois, les meilleures relations ; en un temps où les puissances européennes forçaient à coups de canon la Chine à ouvrir ses marchés, et se ruaient à l’exploitation de ses richesses, où l’on parlait en Angleterre du Break-up of China, les Américains s’étaient montrés particulièrement respectueux des droits souverains de l’Empire chinois et modérés dans leurs demandes de chemins de fer ou de mines ; ils n’avaient même pas de « concessions » là où les autres puissances en possèdent. Leur politique se bornait à réclamer la « porte ouverte » pour leurs marchandises. Ils occupaient le quatrième rang parmi les États fournisseurs de la Chine ; le chiffre de leurs ventes, en 1904, s’était élevé à 29 181 000 Haïkouan-taëls contre 17 163 000 en 1898[2] ; elles consistaient surtout en cotonnades, farine,

  1. Voyez notre ouvrage la Chine qui s’ouvre, p. 254 (Perrin, 1900).
  2. Le Haïkouan-taël valait, en 1904, 3 fr. 60.
    Importations : Grands-Bretagne 57 221 000 H.-taëls.
    — Japon 50 164 000 —
    — Indes Anglaises 32 220 —