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demeure encore aujourd’hui sans pareil. Songez au premier acte de la Walkyrie, au premier acte de Siegfried, à ce double et gigantesque crescendo de mouvement et de vie, à celle progression de forces diverses qui s’attirent ou se repoussent, qui se joignent ou s’opposent, jusqu’au paroxysme final qui toutes les rassemble et les unifie. Quelle action encore, à la fin du premier acte de Tristan, lorsque, dans un conflit universel, se précipitent, s’entre-croisent et s’entre-choquent les thèmes comme les événemens, comme les âmes, et comme, en chaque âme, les pensées et les passions. Il est très vrai, bien que tout le monde l’ait dit et redit, que la musique de Wagner excelle à représenter le devenir, l’approche, l’urgence, ou la fuite, en un mot l’élément en quelque façon dynamique plutôt que statique de l’être. Souvenez-vous d’Iseult agitant son voile dans la nuit et de la prodigieuse poussée sonore dont le dernier élan jette en ses bras le héros furieusement appelé. Une autre attente, autrement longue, autrement exaspérée, anime, enfièvre l’avant-dernière scène du drame d’amour et de mort. A partir de l’apparition du navire et du cri du berger le signalant jusqu’à l’entrée d’Iseult, une véritable symphonie se déchaîne. L’appel du pâtre en donne le signal, j’allais dire en opère le déclanchement. L’adagio qu’avaient formé les pages précédentes devient scherzo, puis finale. Je n’en connais pas de plus impétueux. Après quelle contemplation, quel transport et quel vertige ! Tous les thèmes antérieurs, entraînés dans le tourbillon, s’y transforment non seulement au gré, mais à l’image de l’émotion, elle-même transformée. L’un, qui soupirait naguère une amoureuse rêverie, chante, hurle maintenant plus que la joie, l’ivresse, la folie d’amour. Tantôt il est lui-même, et tantôt son contraire : entendez qu’au lieu de monter, il descend alors, avec le même rythme, mais avec une violence, une fureur nouvelle. Un autre « motif, » d’amour encore, autrefois intime, intense, s’emporte maintenant et se disloque, secoué brutalement, comme le moribond sur sa couche, par un spasme trop fort et qui le brise. En vérité, ce n’est plus ici l’action, mais, suivant un mot de Gœthe, « la tempête de l’action, » que la symphonie exprime, ou plutôt qu’elle surpasse.

Pour peindre les caractères, elle ne possède pas de moindres ressources ; elle ne déploie ni moins de puissance, ni moins de finesse, et quelquefois même, de subtilité. Sans refaire une