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rempli pendant un demi-siècle cette même assemblée de sa parole et de son influence, — pas même l’absence de ces Irlandais pour lesquels il avait compromis sa gloire et sacrifié le repos de ses derniers jours. Ils avaient refusé de s’associer à cette touchante unanimité d’une heure qui réunissait les partis dans un dernier hommage à Gladstone.


VI

Deux grosses difficultés attendaient, en 1895, les chefs du parti unioniste à leur rentrée au pouvoir. Le sentiment populaire qui leur avait valu une très large majorité était le désir d’être débarrassés pour longtemps, sinon pour toujours, du cauchemar de l’autonomie irlandaise. Ce programme était purement défensif, autant vaut dire négatif. Or, un gouvernement ne peut pas vivre six ans sur une négation ; il est condamné à agir, et c’est là qu’il risque de se brouiller avec ses électeurs qui lui ont prescrit unanimement ce qu’il ne doit pas faire, mais ne s’entendraient pas sur ce qu’ils voudraient le voir faire.

L’autre question délicate consistait dans la nécessité et dans la difficulté de maintenir, — à présent que le danger du home rule était écarté, — l’accord intime entre les coalisés de 1886. Les vieux whigs étaient déjà à moitié absorbés. Au point de vue doctrinal, ils n’étaient plus séparés des purs tories que par des différences infinitésimales, et il semblait que les envies de dormir de leur chef, le duc de Devonshire, qui étaient proverbiales à Westminster, eussent engourdi tous ses adhérens. Mais il n’en était pas de même des radicaux unionistes auxquels M. Chamberlain communiquait son ardente vitalité.

Résoudre ces deux difficultés l’une par l’autre fut, sinon un trait de génie, du moins un acte de rare intelligence politique. Il s’agissait d’emprunter aux radicaux les idées qui pouvaient se concilier avec les vieux dogmes conservateurs. Je ne sais si M. Balfour fut l’inventeur de cette politique : en tout cas, il en fut le très habile et très constant exécuteur. Personne, du reste, ne l’y aida mieux que M. Chamberlain. Depuis son schisme, c’est-à-dire depuis dix ans environ, ce souple et vigoureux esprit avait évolué. J’ai raconté ici, il y a vingt ans, comment, dans la première période de sa vie parlementaire, il avait cherché à résoudre la crise industrielle (il y en avait une alors comme aujourd’hui ! )