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toutes les fois que Richelieu faisait tomber la tête d’un grand. On nous disait, — sans le prouver, — que cette centralisation violente avait préparé la grandeur militaire de la France moderne, mais on oubliait d’ajouter qu’elle avait préparé, en même temps, le « règne des maltôtiers ; » la phrase est du duc de Saint-Simon, mais le lecteur n’aura aucune peine à y découvrir des équivalens modernes.

En Angleterre, les classes manufacturières et commerçantes ont, par la Réforme de 1832, obligé la Propriété territoriale à partager avec elles le pouvoir politique ; mais elles ne se sont pas avisées de la calomnier, dans le passé, par une falsification systématique de l’histoire. Lorsque le jeune Balfour devint, à quatorze ans, un écolier de la vieille et fameuse maison d’Eton, il dut y trouver l’idéal du gentleman placé aussi haut qu’à Whiltingehame et, comme à Whittingehame, dominé par le dogme chrétien qu’on ne mettait pas en question et qu’aucune discussion n’effleurait. A Eton, il eut pour camarade le futur lord Rosebery, qu’on nommait alors lord Dalmeny. Il fut le fag de lord Lansdowne, qui devait siéger avec lui dans les conseils du gouvernement et qui dirige, à cette heure, l’opposition dans la Chambre des Lords, comme il la dirige lui-même dans la Chambre des Communes. Pendant son passage à Eton, il ne se signala point par des succès éclatans, ni dans les classes, ni sur le terrain des sports. Il était de ceux que les mères nomment « un enfant délicat » et qu’on arrête, avec inquiétude, dès qu’ils semblent travailler avec trop d’ardeur ou jouer avec trop de passion. En 1866, à dix-huit ans, si je m’en rapporte aux chiffres donnés par M. Alderson, et qui m’ont un peu surpris, il entre à l’Université de Cambridge où il restera quatre ans.


II

Le collège choisi pour lui n’est pas l’aristocratique collège de King’s où allaient, où vont encore les Etoniens et où ils retrouvaient l’esprit et les mœurs de leur première école. C’est à Trinity qu’il va s’établir, en plein milieu scientifique et dans une atmosphère où l’on respirait Darwin. C’était la brise du large au sortir d’une serre chaude. Le changement dut être d’autant plus vivement ressenti qu’à ce moment même, dans cette intelligence tardive, mais non paresseuse, s’éveillaient les facultés critiques.