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soulager, en quelque façon, la crise cotonnière, et il sera bien difficile de se répondre affirmativement. Mais tous les moyens sont bons pour apprendre aux enfans nés dans la richesse à travailler avec ceux qui travaillent et à souffrir avec ceux qui souffrent.

A douze ans, Arthur Balfour prononça son premier discours devant ses tenanciers du domaine de Whittingehame. Il ne faudrait pas conclure de là qu’il ait révélé, en cette circonstance, un précoce talent pour la parole. Rien ne serait moins conforme à la vérité. Le temps était encore bien loin où l’on devait consentir à saluer en lui un orateur. On nous dit qu’il s’acquitta convenablement de sa tâche. Comme il avait ciré ses souliers, il débita son discours, mieux, sans doute, car c’était, cette fois, une corvée de gentleman. Réaliser en lui cette image du gentleman qu’on proposait à ses efforts comme le but où il devait tendre, tel était son unique souci. Et, à ce sujet, je ne crois pas inutile de remarquer combien a été différente, chez les deux peuples qui se font face sur les deux rives de la Manche, la fortune d’un même mot. Un gentilhomme : cette expression exhale un parfum de mondanité, un peu écœurant comme tous les parfums et qui fait sourire notre jeune démocratie. En Angleterre, le mot s’est élargi démesurément dans la circulation quotidienne au point de signifier, tout simplement, un mâle, décemment habillé. Mais il conserve, pour les Anglais qui pensent, une partie de sa haute valeur historique : il évoque à leur esprit un mode d’existence sociale qui date des Plantagenets, qui atteignit sa perfection (perfection relative comme celle de toutes les institutions humaines) sous les Tudors, qui s’est lentement atrophié sous l’influence de l’évolution moderne, mais dont les vestiges, hier encore, couvraient toute l’Angleterre. La paroisse était alors l’unité élémentaire. Le gentleman, à la fois administrateur et justicier, gouvernait ce petit monde à part qui se suffisait à lui-même, au point de vue industriel et commercial. Il le gouvernait avec l’aide du clergyman. Chez nous, l’aristocratie, pendant les derniers siècles de la monarchie, n’a pas pu ou n’a pas su jouer ce rôle ; ou, si elle l’a joué quelque part et quelquefois, on nous le laisse ignorer. Toutes les histoires écrites depuis 89 s’évertuent à attirer notre sympathie vers l’œuvre de centralisation accomplie par les rois, de Louis XI à Louis XIV, en s’appuyant sur le peuple. On nous forçait à applaudir, au collège,