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Parmi les ouvrages qui parurent alors, il en est un qui indigna bien des lecteurs et sur lequel Chamfort a, comme de juste, insisté : ce sont les Mémoires du maréchal de Richelieu. Ce retentissant personnage avait eu toutes les fortunes. Né à la fin du XVIIe siècle, assez à temps pour connaître les dernières splendeurs du grand règne, il avait traversé tout le siècle suivant et venait de mourir en 1788, avec cette société même qu’il personnifiait dans ses côtés les plus mauvais comme les plus brillans. Après sa mort, deux ouvrages furent publiés, qui avaient la prétention d’avoir été composés par lui, ou rédigés au moins sous ses yeux. Ils renfermaient de singuliers aveux, qu’on expliquait par ce mot prêté au vieillard, « qu’il avait la franchise hardie de se confesser au public et à la postérité. » On attribuerait avec plus de vraisemblance ce beau cynisme au désir de faire de l’éclat et au besoin qu’avait le maréchal, après avoir obtenu tant de succès en tous genres pendant sa vie, d’occuper encore le public du fond de sa tombe. Quoi qu’il en soit, les deux ouvrages furent dévorés, et Chamfort, pour battre en brèche l’ancien régime, n’avait qu’à reprendre, sans y rien ajouter, les histoires scandaleuses qu’ils contenaient : c’était une preuve assez accablante de la corruption d’une époque. Aussi l’un de ses articles se termine-t-il par ces mots : « Qu’il nous soit permis, en finissant, d’adresser à tout homme de bon sens et de bonne foi une seule question : Combien de temps pouvait subsister, sur les mêmes bases, une grande société dont le gouvernement, l’état politique et moral présentaient partout, et sous cent aspects différens, le tableau de vices, d’absurdités, d’horreurs et de ridicules qu’un petit nombre de pages vient de rassembler sous les yeux du lecteur, dans le cadre étroit de la vie privée d’un seul homme[1] ? »

Pendant qu’il se tenait en dehors de toutes les fonctions actives, la Gironde était arrivée au pouvoir. Le ministre Roland, qui avait dans ses attributions la Bibliothèque nationale, crut pouvoir donner les deux places de bibliothécaires, l’une à son ami Carra, l’autre à Chamfort[2]. Aussitôt les jalousies

  1. Ed. Auguis, III, p. 294.
  2. Roland avait partagé en deux la place de bibliothécaire. Elle était occupée auparavant par « un d’Ormesson, dont le nom effarouchait le nouveau régime et dont la médiocrité ne devait pas inspirer de regret. » (Mme Roland, Mémoires, éd. Perroud, I, p. 181.)