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Républicain, c’est beaucoup dire : M. Aulard a montré qu’il n’y avait eu de républicains, en France, qu’après la fuite de Varennes. Chamfort voyait les abus du régime sous lequel on vivait, et il ne se faisait pas faute de les attaquer. Il demandait plus de tolérance en religion, plus de liberté en politique, plus d’égalité dans la distribution des charges publiques ; il voulait pour les citoyens une part plus grande dans la gestion de leurs affaires. Mais n’était-ce pas la pensée de presque tous ceux qui s’essayaient à écrire ? Qui d’entre eux la cachait ? Plusieurs même disaient leur opinion avec plus de violence que lui ; ils prenaient une attitude plus énergique, donnaient à leurs plaintes un ton plus agressif : on les trouve, en somme, plus républicains que lui.

Les gens de lettres de ce temps, pour vivre de leur plume, ayant à surmonter les mêmes difficultés, avec des moyens semblables, arrivaient à vivre un peu de la même façon. Ils se recrutaient d’ordinaire dans le même milieu. C’étaient des écoliers pauvres, dont l’instruction avait pu se faire à l’aide d’une de ces bourses qu’il y avait alors en assez grand nombre dans les collèges. On les attribuait souvent à de malheureux déclassés. En 1781, trois de ces anciens boursiers, qui étaient parvenus à l’Académie française, avaient une naissance irrégulière, et deux d’entre eux, d’Alembert et Chamfort[1], avaient été forcés de se fabriquer un père de toutes pièces, en lui donnant un nom. Les études finies, l’écolier était mis hors du collège, laissé dans la rue, sans fortune, sans asile, sans aucune de ces places, comme il y en a aujourd’hui, qui vous donnent au moins du pain, quand on n’est pas encore connu. Il n’existait pas, à cette époque, une armée de fonctionnaires, où le jeune homme pût se glisser sans bruit et attendre. Le journalisme demeurait modeste et ne devait se développer qu’avec la Révolution. L’enseignement était presque tout entier aux mains des congréganistes. Les libraires ne payaient guère les auteurs, et les comédiens, si une pièce réussissait, gardaient pour eux la meilleure part du profit. — Restaient les protecteurs. Ils étaient nombreux, à vrai dire, et illustres. D’abord le Roi : depuis Louis XIV, des pensions sur les Menus sont réservées aux écrivains. Puis les princes et les princesses, qui tiennent à imiter le Roi et s’attachent les gens de mérite

  1. Le troisième était Delille.