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Tout cela, chez nous, se fait aujourd’hui couramment, à la condition, bien entendu, que ceux qui le font appartiennent à un certain parti et non pas à un autre. Ah ! si des entreprises pareilles venaient de royalistes ou de bonapartistes, comme le gouvernement retrouverait vite le courage de se faire respecter ! On crierait que le complot est évident, en attendant l’attentat, et on en trouverait facilement des preuves. On convoquerait la Haute Cour. On sauverait une fois de plus la République. On déploierait sa force contre des partis impuissans, avec la certitude que personne ne se mettrait en grève pour les venger. Mais quand on a affaire à l’armée de la Confédération générale du Travail, c’est autre chose. Le gouvernement devient aussitôt aveugle et sourd ; il ne voit rien, il n’entend rien ; hier il laissait tout faire, aujourd’hui il laisse tout dire. Comment serions-nous rassurés sur demain ?

Le peuple assemblé aime les discours : on en a prononcé beaucoup au meeting de l’Hippodrome. Ils ont été mêlés de grosses facéties à l’adresse du parlement et des parlementaires : c’est aujourd’hui le refrain obligatoire des manifestations oratoires de ce genre. Malheureusement, les orateurs ne s’en sont pas tenus là ; leurs coups ont porté plus haut. Plusieurs d’entre eux ont exprimé le regret que M. Clemenceau ne fût pas là pour les entendre : nous serions tenté, à notre tour, de regretter l’absence de M. Briand qui proclamait au Neubourg l’union indissoluble de la classe ouvrière et de la République. « La République, s’est écrié M. Janvion, c’est cela qui nous est égal ! Il n’y a qu’une classe qui nous alarme, et ce n’est pas celle des réactionnaires, c’est celle des actionnaires. Nous n’avons pas à nous occuper de la forme du gouvernement. Si le syndicalisme est à la hauteur de sa tâche, il jettera à bas les deux Bastilles, le Parlement et l’État, et remettra aux travailleurs libres le soin de faire leurs affaires eux-mêmes. » Le Parlement, en effet, l’État sont des forces avec lesquelles il faut compter ; dès lors, ce sont des ennemis. Mais il y a encore une autre institution qui gêne les ouvriers, et c’est la patrie elle-même, la patrie qui impose des devoirs à ses prétendus enfans et qui a besoin d’une armée pour la défendre. Il faut entendre en parler le citoyen Yvetot, secrétaire de la fédération des Bourses à la Confédération générale du Travail. L’antimilitarisme est la première condition de tout progrès ; mais qu’on se rassure, l’armée est déjà travaillée et le sera bientôt davantage ; quand elle l’aura été suffisamment, l’heure de l’antipatriotisme sera venue. « Le patriotisme, dit M. Yvetot, ne sert qu’à fanatiser les foules. On nous appellera les sans-patrie : cela est