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suprêmes, lorsqu’elle apprend que son galant est un abominable escroc sur qui la police vient de poser lourdement la main. Il était temps. Tout de même, elle en éprouve un frisson rétrospectif. Et je n’affirme pas qu’à l’avenir elle ne s’égarera jamais hors des sentiers de la vertu ; du moins elle ne s’égarera plus qu’en bonne compagnie, et exigera de ses complices de sérieuses références. Cette histoire cocasse était contée sans gravité sur un ton d’ironie légère. Cela faisait un roman parisien des plus agréables.

Il est impossible de ne pas évoquer ce souvenir en abordant la pièce de M. Henry Bataille, le Scandale. Même point de départ, même sujet, traité, à vrai dire, d’une manière toute différente. Nous sommes ici lancés en plein drame. Mme Ferioul est venue faire une saison à Luchon avec son mari et ses enfans. C’est une provinciale, habituellement domiciliée à Grasse. Épouse vertueuse, bonne mère de famille, bourgeoise timorée, comment est-elle tout à coup devenue la maîtresse d’un rastaquouère, rencontré dans les couloirs de l’hôtel, el dans la chambre duquel elle passe des nuits frénétiques ? On ne nous l’explique pas et pour cause. C’est un mystère. On ne discute pas le mystère : on y croit. Donc admettons, sans objections, que Mme Ferioul est devenue subitement la maîtresse du brun Artanezzo. Entendons-la décrire les délices inouïes qu’elle goûte dans les bras de ce virtuose de l’amour. Notons seulement que le lyrisme de cette matrone énamourée d’un passant est ce qu’on imagine au monde de plus déplaisant. A la fin de l’acte, elle découvre que cet incomparable amant est un vulgaire escroc.

Mme Ferioul rentre à Grasse, dans son intérieur, retrouve sa paisible vie de famille et peut croire que sa déplorable aventure n’a été qu’un cauchemar. Mais Artanezzo écrit. Sans doute est-ce le chantage qui commence. Artanezzo arrive en personne. Et Mme Ferioul le reçoit. Quelle n’est pas son émotion à découvrir que, pour être un escroc, le rasta n’en est pas moins plein de délicatesse. Il lui rend ses lettres, les menus souvenirs qu’il a gardés de leur amour. C’est le filou chevaleresque. Toutefois notre époque est rude aux belles âmes : Artanezzo, pour avoir extorqué je ne sais plus quelle somme à un bijoutier, est traduit devant les tribunaux, et Mme Ferioul est citée comme témoin. Elle pourrait à la rigueur se dispenser de répondre à la citation. Mais quoi ! laisser condamner un si galant homme ! Elle ira. Tout de même pour une bourgeoise notable de Grasse, venir à Paris témoigner en audience publique, sans que personne s’en aperçoive, c’est un peu compliqué. Mme Ferioul se perd en combinaisons…