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gré. Leur manière autoritaire, tyrannique et cassante, leur aliène ceux de qui ils devraient attendre un juste retour d’affection et de tendresse. Ils n’obligent que des ingrats.

Le voici lui-même, et précisément dans un état d’exaspération bien fait pour révéler le fond de sa nature. Un hasard vient de le rendre témoin d’un scandale qui le touche de tout près. Comme il se promenait avec son parent et ami, Doncières, il a vu la femme de celui-ci, Anna Doncières, sortir de la maison de Pavail. Le doute n’est pas permis, et il y a des preuves : la délinquante a, dans sa précipitation, perdu un gant. Tel est le crime ; le châtiment ne se fera pas attendre. A Doncières de prendre les justes résolutions pour sauver son honneur de mari ; quant à lui, il expédiera Pavail au Tonkin.

Une conversation va mettre en présence le général et Doncières. L’objet en est d’opposer deux caractères d’homme, le personnage de Doncières n’ayant été inventé que pour faire contraste avec celui du général et par-là mettre celui-ci en un relief plus saisissant. Doncières est un faible, disposé à l’indulgence, avide de trouver des motifs de pardonner, et prêt à s’aveugler lui-même pour n’être pas obligé de sévir. Le général, à qui il est venu demander conseil, ne lui cache pas que sa mollesse lui inspire quelque mépris. Il lui souffle un peu de son âme, et tâche de le convertir à son intransigeance. Pas de miséricorde au péché ! Pas de pitié pour la pécheresse ! Il faut congédier l’épouse coupable. Le pardon, en pareil cas, n’est pas le louable effort d’une grande âme ; c’est une lâcheté procédant de mobiles inavouables, c’est le honteux triomphe des sens qui se souviennent sur la volonté qui abdique. Le caractère s’accuse et se complète dans cette scène où le général, avec une si belle assurance, se fait juge dans une cause qui n’est pas la sienne. Grave responsabilité que celle d’un conseil à donner, dans des matières aussi délicates et dans une circonstance aussi décisive ! La plupart hésiteraient. Mais c’est le propre de ces natures entières et qui possèdent « l’horrible certitude, » de disposer d’autrui aussi allègrement que d’elles-mêmes. Le devoir est pareil pour tous ; il n’est pas relatif aux individus ou dépendant des circonstances ; il est d’ailleurs simple et clair : il s’impose par son évidence et ne souffre pas la discussion.

Comme on a mis Doncières en opposition avec Sibéran, de même Anna devait être l’antithèse de Clarisse. C’est une petite âme sans consistance et telle qu’on en trouve à la douzaine dans notre époque falote. Elle regrette énormément sa faute, depuis qu’elle s’est laissé surprendre. Elle n’avait jamais imaginé que l’adultère pût avoir l’ombre