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humaine, dans son essence, reste identique à elle-même. Aux temps légendaires, quand le ciel était tout voisin de la terre et que les hommes allaient enveloppés de merveilleux, à ceux qui venaient des cités lointaines chercher dans la ville sainte la révélation d’une parole inspirée, l’oracle se bornait à répondre ces simples mots : « Connais-toi ! » Et le pèlerin, sachant que les dieux aiment à parler en termes obscurs, revenait méditant sur la formule énigmatique chargée de trop de sens au gré de son âme ingénue. Le jour où Socrate développa le contenu de la formule et la prit pour base de son enseignement, ce ne fut rien de moins qu’une révolution. Il faisait redescendre la philosophie du ciel sur la terre ; il rejetait au néant les vaines spéculations de ceux qui cherchaient dans la combinaison des quatre élémens le dernier mot des choses ; il annonçait au monde cette vérité que rien n’est intéressant pour l’homme, sinon ce qui est humain. C’était le dernier mot de la sagesse antique : c’est le premier de la pensée moderne. Car cette étude de soi-même, c’est celle à laquelle le christianisme ne cesse de nous ramener. De là ce grand travail de réflexion et de méditation, ce grand effort de reploiement, cette perpétuelle interrogation de soi par soi. Cette vaste enquête sur l’âme humaine est le moyen par lequel le christianisme a créé notre conscience. Aujourd’hui, ceux-là mêmes qui rejettent les dogmes de son Credo demeurent façonnés par lui. Ils ne peuvent admettre qu’une règle de vie : s’analyser soi-même en vue de réaliser l’accord entre les sentimens de l’individu et l’idéal qu’il s’est forgé. Ainsi un même précepte pénètre l’étroite philosophie antique et l’accueillante morale chrétienne, et se perpétue de l’enthousiasme des époques inspirées à la prudence positive de nos temps désabusés. Car il s’adresse aux hommes dont les erreurs, à travers les siècles, n’ont pas cessé de procéder des mêmes causes. — Ne dites pas que voilà, à propos d’une œuvre de théâtre, de bien vastes perspectives ! C’est la définition même de l’art classique qu’il envisage dans la nature humaine l’élément qui est de tous les temps. Notre vieille tragédie évoquait les âges où la conscience humaine s’essayait aux premiers balbutiemens, pour donner aux esprits raffinés du XVIIe siècle des enseignemens dont peut encore profiter l’âme inquiète de nos contemporains.

C’est un fait d’observation simple et coutumière qui sert de point de départ à la pièce de M. Hervieu. Combien de fois nous est-il arrivé de constater, avec une espèce de stupeur, l’extraordinaire démenti qu’une action imprévue vient donner à toute une vie ? Non seulement nos plus intimes amis nous sont apparus très différens de