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employé comme un charme pour effacer le surnom d’ « Armagnacs, » que les Anglais avaient donné au parti national. Il est vrai que le mot de « patrie » n’était pas encore entré dans l’usage commun, — bien que la traduction latine du procès de Rouen prête à l’accusée le terme de patria : mais son « doux pays de France » en signifiait tout autant.

C’est pour réaliser cette tâche que Jeanne a entrepris de faire lever aux Anglais le siège d’Orléans : mais avant même qu’Orléans fût assiégé, dès 1428, elle avait sa conception personnelle de la méthode à employer pour affranchir son pays. Dès le mois de mai de cette année, elle avait promis de conduire son « gentil Dauphin » à Reims, pour y être sacré, à travers le territoire hostile anglo-bourguignon. Car ce n’était pas elle seule, mais son temps tout entier qui gardait au roi Charles le titre de « Dauphin, » jusqu’au jour où ce prince serait oint de l’huile qu’un ange, jadis, avait apportée au saint patron du village de Jeanne, Domremy. Aujourd’hui, cette importance attachée à quelques gouttes d’huile ne peut évidemment que nous paraître absurde : mais en étudiant l’histoire, il convient que nous acceptions le passé tel qu’il était. L’importance politique du sucre de Reims était reconnue aussi pleinement par le pratique et positif Hedford, frère d’Henri V et gouverneur de France, que par la paysanne visionnaire de Domremy. Entre la fille de Jacquet d’Arc, dans son village lointain des bords de la Meuse, et le grand homme d’État et guerrier anglais à Paris, il s’agissait, en fait, d’une course vers Reims, vers le couronnement du Dauphin français Charles ou du petit roi anglais Henri VI.

Et les résultats politiques du succès de cette course ne formaient, eux-mêmes, qu’une partie du vaste plan conçu par la jeune paysanne. Son objet principal, dès le début, était de venir en aide aux pauvres et aux opprimés. Elle entendait couronner le Dauphin : mais, d’abord, elle exigeait qu’il lui promît de régner avec justice et pitié, sans aucun esprit de vengeance, en fidèle vassal du Christ. D’un bout à l’autre de la carrière de Jeanne, la véritable couronne, celle qui, seule, pourrait rendre à la France sa place parmi les nations, était, — comme elle l’a dit à ses juges, — cette couronne idéale « que nul orfèvre sur terre ne saurait façonner. »

Telles étaient les conceptions de cette humble fille qui, sans l’assistance de personne, avait résolu d’accomplir son rêve : et il faut ajouter qu’elle a entrepris sa mission non seulement avec la certitude la plus profonde de son impuissance personnelle, mais aussi, du commencement à la fin, avec l’assurance formelle qu’elle « ne durerait qu’un peu plus d’un an. » C’est en sachant tout cela qu’elle s’est mise à l’exécution de sa tâche. Durant les dix derniers mois des treize mois de sa carrière active, elle a été fort peu soutenue par le roi qu’elle avait couronné ; durant les six dernières semaines, ses inspirations ne lui ont plus rien prédit que sa prochaine capture. Mais il n’importe : elle a détourné le flux de la conquête anglaise ; dès ce moment, les vagues se sont retirées, et, dans le délai prédit par la Pucelle captive, l’Angleterre allait « perdre un gage plus cher encore qu’Orléans. »

Voilà ce que sont les merveilles, merveilleusement accomplies, de Jeanne d’Arc ! Une enfant a compris et appliqué, — du moins selon ce qu’affirment les juges autorisés de la stratégie et de la tactique, — les idées