Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 50.djvu/866

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’ils demandent à leur gré des conseillers à l’Allemagne pour l’armée, à l’Angleterre pour la flotte, comme à nous pour les finances[1]. Nous n’avons jamais eu l’outrecuidance de réclamer le monopole de l’éducation de l’Orient. Grâce à la diffusion de notre langue, notre part a été la plus large dans la lente élaboration de la Turquie nouvelle ; nous sommes en droit d’espérer qu’elle ne sera pas moindre dans l’achèvement de la grande tâche.

Si, pour ses réformes intérieures et pour la refonte de ses institutions, la Jeune-Turquie a besoin d’appeler chez elle des conseillers européens, il lui faudra, également, envoyer de chez elle en Europe, comme des pèlerins de l’Islam aux profanes sanctuaires de l’Occident, des jeunes gens, qui se puissent pénétrer, à leur source même, des principes et des méthodes de la science moderne. Déjà, dans la nuit de l’ancien régime, une élite de jeunes Ottomans poursuivaient, dans nos universités ou nos écoles, en France, en Autriche, en Allemagne, de libres études dont l’absolutisme n’eût pas toléré la hardiesse dans les Etats du Sultan Calife. C’est cette élite d’élèves de l’Europe, sorte de « hadjis » de la science, remplis d’une ferveur religieuse pour la culture occidentale, qui, agissant sur l’épaisse masse des officiers et des fonctionnaires, a soulevé, en cet Empire à la surface immobile, le brusque et merveilleux mouvement jeune-turc. Mais, sous l’absolutisme ombrageux du maître inquiet d’Yldiz-Kiosk, les études au dehors étaient découragées. La France surtout et les écoles françaises étaient particulièrement suspectes, en tant que berceau de la Révolution et foyer naturel des revendications libérales. Nous étions à l’index ; la plupart des jeunes Ottomans qui osaient fréquenter nos écoles (j’en ai connu plus d’un parmi mes élèves des Sciences politiques) étaient des lecteurs et des amis du révolutionnaire Mechveret. C’étaient presque tous des exilés ou des réfugiés, en rupture de ban avec le gouvernement autocratique du sultan Abdul-Hamid, dont ils annonçaient et préparaient, depuis longtemps, la chute. Désormais, il n’en sera plus de même ; musulmans ou chrétiens, les sujets du Padishah qui viendront chez nous étudier la médecine, le droit, les finances,

  1. On sait que, pour étudier l’état de ses finances et pour en préparer la réorganisation, le gouvernement ottoman s’est adressé au gouvernement français et que, sur les indications de ce dernier, cette haute mission a été confiée à M. Charles Laurent, premier président de la Cour des Comptes. Il était impossible de faire un meilleur choix.