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nos livres ou nos journaux, qu’en dépit de toutes les vexations de la censure et les persécutions de la police, ils ont puisé les nouveautés audacieuses, les idées émancipatrices avec lesquelles ils se flattent de rénover l’antique Orient. La France a été la patrie de leur intelligence ; c’est en français, à notre imitation, qu’ils ont appris à bégayer ces nobles mots de liberté, d’égalité, de progrès, jusque-là presque inconnus de l’Orient ; c’est à nos révolutions qu’ils ont emprunté ces généreuses et parfois décevantes formules qu’ils prétendent inscrire sur les bannières de l’Islam, et à l’aide desquelles ils osent se promettre de lui rendre gloire et puissance.

Comment rejetteraient-ils, une fois vainqueurs, l’instrument qui a préparé leur victoire ? Ils ne dissimulent pas ce qu’ils lui doivent ; partout, c’est au son de la Marseillaise qu’a été proclamé le rétablissement de la Constitution ; c’est en notre triple et fascinante devise, ailleurs devenue trop souvent une mensongère enseigne, que ces jeunes Musulmans résument les plus nobles ambitions de leur foi nouvelle. Aux premiers jours de cette sorte de 89 ottoman, la spontanéité de ses embrassemens fraternels, la naïveté des explosions de son enthousiasme, nous ont souvent rappelé les heures idylliques de notre Révolution française. Mais s’ils nous ont imités, s’ils sont nos élèves, ces Jeunes-Turcs, disciples de l’Occident, ne semblent pas fermés aux douloureuses leçons de l’histoire. Ils sentent que, pour régénérer un peuple et achever une révolution, il ne suffit pas de proclamer un changement de régime et de décréter le règne de la liberté et de la justice. C’est peu de modifier les lois, les institutions, les formes de gouvernement ; pour faire œuvre durable, il faut changer les habitudes, les mœurs, les esprits même, et cela ne peut être fait sans guides et sans modèles. Quand il serait prouvé à tous les vrais croyans que le régime constitutionnel n’a rien de contraire à la lettre ou à l’esprit du Coran, ce n’est pas dans les surates du livre sacré qu’ils en pourront apprendre les règles et les principes. Il leur faudra, pour cela, se remettre à l’école de l’Occident. Ils en auront d’autant plus besoin qu’en s’appropriant les institutions de l’Europe, ce n’est pas seulement les libertés des Etats occidentaux, mais bien leur puissance politique et leurs ressources économiques que convoitent les novateurs ottomans.

Le mouvement des Jeunes-Turcs, on ne saurait trop y insister, n’a pas été seulement libéral ; c’était aussi et c’est resté, comme