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des étroites limites du royaume des Karageorgevitch, ce n’est point, pour la nationalité serbe elle-même, un mince avantage que de posséder un État indépendant de deux millions et demi d’habitans. Malgré la vaillance de ses fils, le Monténégro est trop petit et trop isolé pour se prêter au même rôle. A l’abri du drapeau national, le peuple serbe peut, au Sud de la Save et du Danube, se développer librement, selon ses traditions et son génie propre. C’est là, en somme, pour les nations, le grand bien de l’indépendance, et celles qui ne le possèdent pas sont le plus à plaindre. Quand elles ne peuvent être tout entières émancipées de la tutelle étrangère, c’est un bien précieux pour elles que de posséder un territoire affranchi de toute sujétion, un libre foyer national, de libres institutions, de libres écoles et universités, où leur nationalité peut se cultiver, s’affirmer, et d’où elle peut rayonner au dehors. Les Serbes se lamentent sur les périls de leur indépendance politique et de leur indépendance économique. Nous souhaitons, ardemment, que l’une et l’autre leur puissent être garanties ; mais quand elles le seraient, cela ne suffirait pas à assurer l’avenir de leur nationalité. Il y faut une chose non moins essentielle, et qui heureusement dépend davantage de leur propre énergie, l’indépendance de leur culture nationale. Plus menaçante est la pression politique ou économique exercée sur eux du Nord ou de l’Ouest, et plus leur culture nationale, plus l’âme de leur peuple ont besoin d’être défendues contre les séductions ou contre les empiétemens de la culture étrangère. Pour ne pas être dominés ou dénationalisés, dans leur intelligence et leur être intime, par l’orgueilleuse culture germanique, les Serbes formés dans les écoles de l’Autriche et de l’Allemagne sont les premiers à sentir qu’il leur faut, au dehors, un appui capable de faire contrepoids à la Deutsche Kultur ; et cet appui, la plupart reconnaissent qu’ils ne peuvent guère le trouver que dans la libre culture française. Il est vrai que, dans l’amertume de leurs déceptions, les feuilles de Belgrade, irritées de nos conseils pacifiques, se sont parfois élevées avec aigreur contre ce qu’elles appelaient notre égoïsme et notre peu de souci du droit des peuples, comme si les voix qui leur venaient des frères de Pétersbourg ne leur donnaient pas les mêmes conseils de prudence, ou comme si la France aux frontières mutilées n’avait pas le droit de songer aux périls, pour elle et pour ses amis, d’une grande guerre, à une heure manifestement inopportune. Ce sont là