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envahissante voisine, si la Russie, mal remise de ses défaites japonaises, se sentait de longtemps impuissante à secourir ses frères slaves, autant valait pour la Serbie, embryon avorté d’un grand Etat panserbe, se jeter elle-même dans les serres de l’aigle des Habsbourg. Au moins, alors, si tous les Serbes ne pouvaient être encore rassemblés en un État indépendant, ils auraient la consolation d’être presque tous réunis, Serbes, Croates, Bosniaques, orthodoxes, catholiques, musulmans, sous une domination étrangère qui, en les écrasant et les foulant, les réduirait, malgré elle, en un corps de nation, prêt aux résurrections futures ; et ainsi, au jour du destin, à une heure prochaine ou lointaine, se reconstituerait une grande Serbie, plus vaste et plus durable que celle du tsar Douchan.

Ces conseils du désespoir, il faut féliciter la Skoupchitna et le peuple serbe si, cédant aux instances des nations amies, ils ne s’y laissent pas entraîner. Pour les peuples, plus encore que pour les individus, le désespoir et la colère, si légitimes semblent-ils, sont de mauvais conseillers. Le suicide n’a jamais été une politique. Un peuple a beau se croire sûr de renaître plus grand et plus fort, il ne sait au bout de combien d’années et de combien de souffrances sonnera pour lui l’heure de retour à la vie. Jouer, contre toutes les chances de la guerre et de la diplomatie, l’existence d’une patrie restreinte sous prétexte de lui ouvrir de plus larges destinées peut tenter, de loin, l’imagination d’un poète ou d’un mystique ; ce n’est pas ainsi que procède la politique qui forge les nations et les États. Quand à un peuple il serait permis de sacrifier la vie présente à l’espoir d’une vie future meilleure, il doit prendre garde d’être victime de sa foi en lui-même et au droit des nations. Quelques encouragemens que les résurrections nationales d’un passé encore récent apportent aux nationalités souffrantes, nous ne sommes pas certains de voir le siècle nouveau réaliser tous les rêves et toutes les promesses du XIXe siècle. S’il est vrai que les nations chrétiennes ne sauraient mourir, il n’est pas sûr qu’elles puissent toutes arriver à l’entière indépendance et à la complète unité. En Orient, plus encore qu’en Occident, il serait téméraire de croire aux prophètes qui osaient déjà annoncer que les frontières des Etats ne tarderaient pas à se modeler partout sur les formes vivantes des nationalités.

La moitié de la nation serbe a beau se trouver en dehors