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bien que de capitaux, double prestige, intellectuel à la fois et matériel, qui, si nous en savions user, pourrait rendre à notre vieille France un ascendant nouveau, une sorte de primauté dans les deux mondes. De là, en Amérique, comme en Orient, la faveur instinctive ou raisonnée, dont continue à jouir, malgré les efforts de nos adversaires et malgré nos propres fautes, la langue française, sur les bords du Bas-Danube et du Bosphore aussi bien que sur les rives de la Plata[1].

Une autre raison de la préférence témoignée à notre langue en Orient (et ici encore on en pourrait dire autant de l’Amérique du Sud) c’est le désintéressement de notre politique. De toutes les puissances dont les ambitions s’agitent en Orient, la France est, à bon droit, celle qui excite le moins de soupçons ou d’appréhensions. On sait que, dans la presqu’île des Balkans et sur la mer Egée, comme sur toute la Méditerranée orientale, elle n’a plus, si elle en a jamais eu, aucune convoitise territoriale, aucune prétention à l’hégémonie. Nous sommes peut-être la seule puissance dont le jaloux nationalisme des gouvernemens ou des peuples de l’Orient ne suspecte pas les intentions. Si peu crédules que soient les Orientaux, les moins candides des hommes, la plupart admettent que nos sympathies peuvent être désintéressées. Le reproche que beaucoup font à notre politique et à notre diplomatie, ce n’est pas de poursuivre secrètement des visées égoïstes, c’est plutôt de nous résigner trop souvent à l’effacement, de nous mettre trop facilement à la remorque de nos alliés de Russie ou de nos amis d’Angleterre, si bien que certains allaient jusqu’à dire que, n’ayant plus de politique propre, la France, en Orient, est devenue quantité négligeable.

Beaucoup des plus sages le regrettaient. On sent que par suite même de notre désintéressement, notre politique, si elle ne peut se mettre au service de toutes les ambitions rivales, s’exerce naturellement en faveur de l’équilibre et de la paix, en faveur de la justice, de la liberté, de la concorde, c’est-à-dire de tout ce qui peut aider l’Orient dans les voies nouvelles où le pousse l’esprit du siècle. Telle a bien été l’action de la politique

  1. On sait, — ou mieux peut-être, on ne sait pas assez qu’il s’est formé, sous la présidence de M. Appell, doyen de la Faculté des Sciences, un « groupement des Universités et grandes Écoles de France » pour développer nos rapports intellectuels avec l’Amérique latine. Ne pourrait-on créer quelque chose de semblable pour resserrer nos relations avec les peuples de l’Orient de l’Europe ?