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s’ils savaient se montrer respectueux des droits de leurs congénères, au dedans comme au dehors de leur vaste Empire, ils y pourraient gagner un ascendant que toutes les visées ambitieuses et surannées du vieux panslavisme orthodoxe ne leur auraient pu assurer.

Le rôle nouveau de la langue russe chez les peuples slaves, des sources de l’Elbe aux bouches de Cattaro et des Alpes juliennes aux vallées du Rhodope, peut de loin sembler en toutes ces vastes régions une menace pour notre vieille langue française. En fait, il n’en est rien, au moins pour une longue période. Le russe peut devenir la langue inter-slave, sans s’élever au rang des grandes langues internationales, sans être, comme disent les Allemands, une « Weltsprache. » De quelque secours qu’il puisse être aux Slaves du Sud ou de l’Ouest, le russe ne peut, de longtemps, leur ouvrir les portes de l’Occident ; il ne peut ni servir d’intermédiaire entre eux et la vieille Europe, ni leur apporter lui-même ce que tous ces jeunes peuples demandent à l’Europe libérale. Ce n’est ni sous les ombrages de Tsarskoié-Sélo ou de Péterhof, ni même sous la blanche coupole du palais de Tauride, que les Slaves du Balkan peuvent prendre des leçons de régulières libertés constitutionnelles. Ce n’est ni dans les universités russes, aux cours si souvent fermés ou troublés, ni même auprès du mystique prophète de Iasnaïa Poliana, le vénérable apôtre de l’anarchisme évangélique, que les Slaves d’Occident ou d’Orient peuvent s’initier aux modernes méthodes scientifiques ou à l’étude passionnante des nouveaux problèmes sociaux[1].

La Russie du tsar Nicolas II, si originale et si riche que soit déjà sa jeune littérature, est encore trop novice dans les sciences et dans la culture elle-même, trop novice surtout et trop incertaine dans la politique et le régime constitutionnel, pour offrir à des peuples en fièvre de croissance et jaloux d’émancipation la forte pâture moderne dont a besoin leur robuste appétit. C’est pourquoi, tout en tendant, de nouveau, à se rapprocher de la Russie, elle-même en voie de rajeunissement,

  1. C’est là une des raisons du grand nombre d’étudians slaves, aussi bien que d’étudians russes qui se rencontrent chez nous. M. L. Pogodine remarquait, non sans le regretter, que la jeunesse slave, spécialement les Serbes et les Bulgares, abandonnent les Universités russes, préférant achever leurs études en France ou en Suisse. Moskovskii Ejenedelnik, 9 août 1908.