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servage ou de vasselage intellectuel. N’ayant pas dans leur propre fonds, dans leurs traditions parfois à demi effacées par les siècles, dans leur civilisation encore trop jeune ou trop peu originale, dans leur littérature née ou renée d’hier, dans leur langue même à l’horizon borné, de quoi résister à la pression des influences allemandes et faire contrepoids à la lourde culture du Nord, ils sont contraints, pour s’émanciper de sa tutelle, de chercher un point d’appui à l’étranger, en une civilisation, une langue, une littérature assez vivantes et assez puissantes pour tenir tôle aux forces intellectuelles du Nord germanique, et à la fois assez claires et assez humaines pour être accessibles aux généreux efforts des peuples jeunes.

Ce point d’appui, quelques Slaves de l’Ouest et du Sud commencent, il est vrai, à le chercher chez leur grande congénère du Nord-Ksi, dans les neiges de la Russie. La solidarité slave, la fraternité de race ou de religion, qu’avait tant prônée le XIXe siècle, du Kremlin de Moscou au Hradchine de Prague et au Kalemegdan de Belgrade, après avoir été discréditée par les rêveries du panslavisme politique, tend à redevenir une foi vivante, comme le dogme d’une rédemption future, non seulement sur les bords de la Vltava (Moldau), de la Save et de la Maritza, mais jusque sur les rives de la Vistule, où, durant tout le dernier siècle, les pans polonais raillaient obstinément cette fraternité slavo-russe qui semblait n’avoir pas de place pour la Pologne. La politique prussienne et les lois de M. de Bulow ont fini par ouvrir les yeux des Polonais, par réveiller, chez les plus réfractaires, l’obscure conscience slave. Le pangermanisme a ressuscité le panslavisme ; ou mieux, il a fait naître un slavisme nouveau, plus logique et plus pratique. Les lois prussiennes en Posnanie et la pression allemande ont rendu aux Slaves le sentiment de leur solidarité. Le vieux panslavisme, vain épouvantail dont l’Allemagne a su trop longtemps nous effrayer, n’a jamais été bien sérieux ni bien redoutable. Il est mort depuis longtemps ; mais le slavisme ou, comme on se plaît à dire aujourd’hui, le néo-slavisme lui survit. Si, en dépit du vers fameux de Pouchkine, les ruisseaux slaves n’aspirent point à se jeter dans la mer russe, les peuples slaves, de l’Elbe à la Vistule et de l’Adriatique à la Mer-Noire, presque également inquiets de la domination allemande ou de l’hégémonie germanique, tendent à se rapprocher pour leur mutuelle défense. Le