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comparaison de celle qu’on y avait menée auparavant ; mais c’était le calme d’un peuple affairé, naturellement vif et agissant. Et, justement, cette agitation autour d’objets médiocres était une jolie matière de comédies, du moment que les poètes, s’adaptant aux mœurs nouvelles, avaient réduit les comédies à n’être plus que des tableaux de genre. La vie privée y offrait nécessairement en abondance des intrigues d’amour, des querelles de ménage, des brouilles ou des soupçons entre voisins, des difficultés entre pères et fils, des entreprises de jeunes gens servies par des complaisans de plusieurs sortes. Choses communes sans doute, mais dans lesquelles Athènes, on peut le croire, se distinguait encore en ce qu’on y déployait plus d’esprit là qu’ailleurs, et surtout en ce qu’on en faisait des récits plus piquans. Ces récits, Ménandre, par sa curiosité, par ses habitudes d’oisif, par ses fréquentations variées, dans le monde et dans le demi-monde, était plus à même que personne de les recueillir tout faits ou de les faire lui-même. Il avait certainement, au plus haut degré, ce don par excellence du poète dramatique qui consiste à se représenter les hommes en action, à imaginer leurs sentimens et leur langage selon leurs situations et leurs conditions[1]. Son vif esprit fut encore aiguisé par l’excitation d’une société élégante ou l’on causait beaucoup. Et le commerce qu’il entretint avec des femmes capricieuses et spirituelles lui fit connaître certains aspects de sensibilité mobile et légère, de fantaisie, d’humeur, certains mélanges de calcul et de spontanéité, surtout une délicieuse abondance de contradictions qu’il dut goûter en connaisseur. Tout cela, peut-être, était peu fait pour le pousser vers ces réflexions fortes et pénétrantes qui atteignent, derrière le spectacle amusant de la vie, les vérités très hautes ou très profondes. Sa nature même n’y était guère prédisposée. Mais son imagination créatrice eut du moins à sa disposition, dans ce milieu, une information morale très étendue et très variée. Essayons de caractériser à grands traits l’usage qu’elle en fit.


II

Ce n’était pas la mode à Athènes, vers la fin du IVe siècle avant notre ère, de transporter sur la scène des « tranches de

  1. Aulu-Gelle, III, 16, 3 : Humanarum opinionum vel peritissimus.